POINT DE MIRE. Coupure de l’internet/ arme et réplique des régimes autoritaires ?

jeu, 06/22/2023 - 01:20

Nous sommes au mois de Juin 2019. Les élections présidentielles sont  organisées et se déroulent normalement. Tard dans la nuit, les veilleurs Ould Ghazouani et son « soi-disant » ami  Ould Abdel Aziz  attendent comme tous les mauritaniens les résultats qui tombent au « compte-urnes ».

L’heure est grave et même très grave. Les résultats peuvent bien réserver des surprises. Biram Dah Abeid est au sommet de sa gloire et  les « harnos », (40 % de la population) ne sont pas contents du régime. Ceci d’une part. D’autre part,  Les « négros-mauritaniens »  (30 % de la population) ont jeté  l’éponge face à  un régime qui ne joue pas un jeu franc et honnête avec les victimes du passif humanitaire et qui joue à la roulette russe par des reformes éducatives à haut risque.

Ould Abdel Aziz qui offre un diner-veillée des résultats est très nerveux et a de la peine à le cacher. Il ne se sent pas à l’aise. Il est  même nerveux. Nerveux  parce qu’avant et durant toute la campagne, il  a été très maladroit et peu coopératif  avec Ould Ghazouani, ce qui  pourrait lui faire courir des risques incalculables  après son départ du pouvoir.

Et, évidemment donc, il est nerveux  parce qu’en aucun cas il ne peut  accepter qu’un deuxième tour oppose Biram Dah Ould Abeid à Ould Ghazouani  candidat du pouvoir. Un deuxième tour  serait la catastrophe. Parce que simplement tous ceux qui sont  aigris par tant d’injustice et de pillages des biens du  pays vont de toute évidence  basculer dans le camp de l’opposition, une opposition qui,  à plus de 70 %  serait  favorable à Biram Dah Ould Abeid, le leader des harratines une personnalité publique qui a toujours été, même si c’est bien  dans son intérêt personnel, plus proches des « noirs-noirs » que des « maures-blancs ».

Ould Abdel Aziz, suit donc seconde par seconde les décomptes des voix de son candidat Ould Ghazouani. A cette époque Ould Ghazouani était plutôt considéré  comme le candidat de la Junte au pouvoir, donc,  pas le candidat d’un quelconque changement. Très peu connu du grand public, considéré par la classe politique de l’opposition  comme le verso d’une pièce  dont Ould Abdel Aziz est le recto, Ould Ghazouani, fragilisé par son impopularité  était donc bien  le candidat à éliminer.

Et, au moment où personne ne s’y attendait vraiment, et au moment  aussi où les résultats qui  tombaient à la CENI n’étaient pas encore compilés dans leur totalité, Ould Abdel Aziz  pousse le candidat Ould Ghazouani à se déclarer vainqueur des élections. Le candidat Ghazouani joue le jeu et se déclare vainqueur. Ould Abdel Aziz annonce  les couleurs et avertit que le  verdict est sans appel.

Mais la nuit allait être très longue. Elle allait être très longue parce que si Ould Abdel Aziz  et son ami Ghazouani veillaient, Biram Dah Abeid, Kane Hamidou Baba et  Ould Maouloud veillaient aussi. Mais plus inquiétant  encore,  veillaient également des milliers de mauritaniens qui allaient de toute évidence considérer que leurs voix avaient été détournés au profit du candidat du pouvoir. Et bien attendu ces milliers de mauritaniens n’attendaient que le lever du jour pour montrer de quel bois ils se chauffent.

Un lendemain des élections du genre : « Il pleut sur Santiago ».

La veillée de fête de l’UPR s’était  poursuivie toute la nuit. La classe politique majoritaire venait  de faire élire  d’une « manière et d’une autre » un nouveau président. Inconnu,  rejeté  pour des préjugés  qu’on lui colle le plus souvent injustement,  Ould Ghazouani, celui qui allait  devenir  l’homme fort  du pays  savoure la victoire arrachée de gré et de force par Ould Abdel Aziz qui ne pouvait  sous aucun prétexte  jouer à  la  prolongation d’un scrutin dont  l’issue serait incertaine pour la majorité au pouvoir en cas de second tour.

Parmi les nombreux invités à la  grande fête de la victoire, il y’avait ceux qui avaient déjà  « basculé » sur la même fréquence que celle de Ould Ghazouani  et d’autres qui avaient entamés des manœuvres pour s’éloigner  de Ould Abdel Aziz, un homme  mal aimé qui avait semé la terreur administrative durant onze ans, mais surtout un homme dont plus personne de son entourage politique ne voulait entendre parler.

Mais il y’avait aussi  parmi les invités un homme qui allait,  les heures suivantes  vivre des moments extrêmes difficiles. C’était  Ahmedou Ould Abdallah, ministre de l’intérieur, un responsable qui n’avait pas fermé l’œil 48 heures durant  lesquels il communiquait  à la seconde près,  toutes les informations relatives à la haute sécurité sur la situation de l’intérieur du pays.

Et, en  effet le lendemain,  comme il fallait s’y attendre, les quartiers de Basra, de Couvé et de Sebkha rassemblaient à un des sites du tournage du  film   « Il pleut sur Santiago »,  une coproduction  franco-bulgare sortie en 1975 et un chef d’œuvre du cinéma. Réalisé par Hervé Soto. Ce film, primé est le dernier de la série de la célèbre Société de production Marquise. Il  montre à quel point les militaires qui détiennent  les rênes  du pouvoir peuvent être capables de tout pour préserver leur intérêt.

Le lendemain de l’annonce des résultats, Basra, Couvé et Sebkha les trois quartiers chauds de la capitale étaient en état de siège. Ces trois quartiers sont truffés de jeunes lanceurs d’alertes pour des mouvements de protestations étendus à la dorsale des zones à haut risque. D’Impressionnantes forces militaires,  fidèles à Ould Abdel Aziz  avaient été déployées pour dissuader les saccageurs  de Biram Dah Ould Abeid et de Samba Thiam de jouer aux casseurs et aux fauteurs de troubles.

Pour certains la mesure prise de mettre ces quartiers de la capitale sous « état de siège était excessive et impopulaire.

Mais ce qui était encore plus impopulaire dans la série des mesures prises, c’était cette  décision prise de couper l’internet après  l’annonce des résultats. Si cette coupure pour les autorités était tactiquement et stratégiquement destinée à désorganiser les manifestants, qui n’avaient plus les moyens de communiquer entre eux ou  les moyens de diffuser des images des échauffourées et sur l’importance et le volume des manifestations des jeunes à Nouakchott et ailleurs, cette décision a été sur un plan technique et économique un désastre national  et international.

Les manifestants aveuglés et rendus muets par cette coupure de l’internet s’étaient donc terrés chez eux. Mais, par ailleurs,  les extrémistes racistes de l’opposition  qui luttent depuis l’Europe ou les Etats-Unis par des mots et des slogans ont dénoncé véhément le fait que certaines zones de la capitale soient mise « sous occupation militaire » ou en « état de siège » et pas d’autres.

Coupures d’internet, une mode devenue en  vogue en 2019.

Nous sommes en  Janvier 2019. Coupures d’accès à l’internet en République du Congo Kinshasa durant  le décompte des voix des élections pour éviter un soulèvement. A la même période coupure d’accès à l’internet au Zimbabwe pour tout le pays à la suite des protestations anti- gouvernementales. En août 2019, signal internet coupé chez nous ici  en Mauritanie  à la suite de l’annonce des résultats des élections de 2019.

Tout récemment, au Sénégal,  après les violentes manifestations anti-gouvernementales du  mois de mai  l’accès à l’internet a été  coupé dans ce pays dit exemple de démocratie. A la même période et  presque simultanément,  coupure de l’accès à l’ internet chez nous pour désorganiser le flux des informations à tendance incitatives   sur les réseaux sociaux et pour couper  les manifestants  de leur base locales après la mort du jeune Oumar Diop,  mort victime d’une overdose de cocaïne associée à une consommation abusive d’alcool  selon la version officielle, mort sous la torture selon sa famille.

Au cours des quatre dernières années pas moins de 22 gouvernements africains ont fait recours à  des coupures des réseaux internet  dans leurs pays dans des situations d’agitation. Depuis le début de l’année 2019 et jusqu’à cette date, six pays africains dont l’Algérie, la RDC, le Tchad, le Gabon, le Soudan et le Zimbabwe ont connus des restrictions d’accès à l’internet, restrictions décidées par les autorités au pouvoir, autorités  débordées par les manifestations de rues. A ces pays il faut ajouter donc la Mauritanie et le Sénégal qui  ont complété le peloton de tête ces deux derniers mois par cette décision impopulaire.

Quand les « généraux de la rue » donnent du fer à  tordre aux généraux des bureaux.

Depuis l’entêtement de Laurent  Gbagbo  qui  refusait  de céder  le pouvoir à Alassane Ouattara déclaré vainqueur des élections en Côte d’Ivoire (2011),  les actions de soulèvement pour une raison ou pour une autre se sont multipliées en Afrique. Mais également dans ces genres de situations les  ripostes des autorités par des coupures intempestives  des accès à l’internet se sont multipliées.

 Selon le rapport CIPESA, publié en mars 2019, par rapport aux  coupures d’internet opérées entre  2014 et 2019,  77 % des pays touchés par le phénomène ont été classés sur l’indice de la démocratie, comme pays autoritaires.

Le même rapport classe le Sénégal, la Gambie, le Maroc,  la Sierre Leone, l’Ouganda  dans la catégorie des pays dits  « hybrides ». C’est-à-dire, des pays  qui se considèrent pays  démocratiques mais qui gèrent le pouvoir avec une forte dose de dictature, de répression et de restrictions des libertés pourtant garanties par leurs constituions.

Au cours de l’année 2019,  11 dirigeants africains  qui étaient au pouvoir depuis 13 ans ou plus avaient  ordonnés  des coupures d’internet  pendant les périodes électorales ou pendant  les périodes des manifestations contre leurs régimes. Il s’agit de Teodoro  Obiang  Nguema  (39 ans au pouvoir), Paul Biya (36 ans), Denis   Sassou Nguesso  (34 ans),  Yoweri  Museveni de l’ Ouganda (33 ans),  Oumar El Bechir (31ans),  Idriss Deby (29 ans), Aziz Bouteflika (19 ans),   Mohamed Ould Abdel  Aziz (11 ans),   Joseph Kabila (17 ans),  Faure Ngassingbé  du Togo (15 ans) et Pierre Nkurunziza  (13 ans).

Certains de ces chefs d’états sont décédés, mais  avant d’aller à l’au-delà, ils avaient laissés  en héritage toutes  formes de répressions et des pillages qui provoquaient   les descentes dans les rues  des jeunes  d’«Il y’en-a-marre » de ces  pays.

Mais, par rapport à l’accès à l’internet,  c’est notre pays qui bat tous les records de ce phénomène. Et c’est bien également  dans notre pays que les  FSI  (Fournisseurs de Service Internet) ne savent plus où donner de la tête. Ils  ne savent plus où donner de la tête,  parce que simplement pour un oui ou un non on coupe l’internet : si  la police fait une bavure, ou étouffe quelqu’un jusqu’à ce que la mort s’en suive,  on coupe l’internet ;  pour empêcher un élève  de tricher au bac, on coupe l’internet.

Couper l’internet est  une décision facile à prendre. Mais cette décision des autorités dans tous les pays où elle est prise,  fait  perdre des millions de dollars de transactions financières ou commerciales à des entreprises ou des institutions financières qui opèrent dans ces pays.

Dans tous les  pays d’Afrique, les  coupures  de la   fourniture  du Service Internet  est un indicateur de la faiblesse des  autorités. Pas plus et pas moins. Et c’est comme ça,  que ce soit ici   chez nous,  que ce soit  ailleurs chez  Denis  Sassou Nguesso,   ou  que ce soit chez Paul Biya,  cette  vieille loque tenue au pouvoir  sous  « euthanasie » par des traitements  médicaux continus  en Suisse.

Et à chaque fois qu’il y’a restriction à l’accès du service internet dans un pays africain, on constate que dans ce pays il y’a rupture  totale de confiance entre les citoyens de ce pays et le  régime en place.

Et c’est bien là le problème.

 

Mohamed Chighali

Journaliste indépendant.