Franchement parlant L’école républicaine: une première mesure au-dessus de toute caricature ou banalisation

jeu, 11/10/2022 - 00:45

L’école républicaine, un vieux sujet qui revient à l’actualité après la dernière mesure arrêtée tout dernièrement par le gouvernement mauritanien réservant la première année fondamentale à l’école publique.

Cette mesure, d’apparence anodine, est chargée d’une signification particulière.

Le beau vieux temps

À l’époque l’état prenait en charge les élèves du CI jusqu’à la fin de leur scolarité. En classe l’ensemble des fournitures scolaires étaient fourni par l’autorité publique, ainsi que le salaire et le transport de l’enseignant. Jusqu’au début de la deuxième décennie d’indépendance les parents de chaque élève du primaire perçoivent mensuellement 70UM. Une somme insignifiante aujourd’hui mais correspondant, à titre d’exemple, au prix d’une douzaine de kilogrammes de sucre aux premières années de l’indépendance.

Au secondaire, dans un enseignement encore élitiste, la majorité des élèves vivaient à l’internat dans des conditions relativement assez bonnes. Les autres bénéficient de bourses plutôt acceptables.

Cette situation, véritablement républicaine, sera interrompue de la façon la plus brutale au milieu des années 1980, après l’arrivée au pouvoir de l’ex-président Ould Taya. Ce dernier fut épaulé dans son putsch du 12 décembre 1984 par la France et les institutions financières internationales. Ces forces étrangères lui imposèrent de nombreuses mesures de libéralisation dont celles de l’enseignement et de la santé. À peine quelques mois après l’arrivée de Ould Taya, EMEL, la première école privée du pays vit le jour. D’autres suivront, au fur et à mesure que le succès de la nouvelle école est constaté.

Parallèlement à cette mesure tous les internats scolaires du pays furent fermés et leur équipement transféré à l’armée.

Les premières classes privées sont ouvertes dans des bâtiments destinés à l’habitat. Leurs premiers élèves furent en majorité des petits négroafricains fuyant l’école publique où ils rencontrent de sérieuses difficultés avec l’enseignement de la langue arabe.

À l’école privée le nombre d’élèves par classe était assez réduit et l’enseignant est choisi selon ses compétences. La direction de chaque école était assurée par d’anciens retraités, professionels de l’enseignement.

Constatant leur succès, les parents des enfants de la classe moyenne maure affluent vers elles pour y inscrire leurs petits. Deux décennies après l’école privée devient l’école privilégiée des classes relativement aisées ou celles faisant semblant de l’être. Le succès au baccalauréat, rare dans les écoles publiques, devient assez accessible à l’école privée.

L’impasse

Quelques décennies après, la situation générale de l’école mauritanienne, publique ou privée, ne cesse de se dégrader. La nouvelle école privée perd petit à petit ses avantages sur l’école publique. Dans les écoles privées les classes deviennent pléthoriques au même niveau d’encombrement que l’école publique. La qualité des enseignants n’est plus contrôlée. Le coût de la scolarité d’un élève de l’école privée ne cesse d’augmenter au degré de fatiguer même les parents d’élèves les plus nantis.

Hier dans notre société traditionnelle plus d’enfants équivaut à plus de bras au travail des champs et de l’élevage. Actuellement chaque enfant est un fardeau depuis sa naissance jusqu’à la fin de sa scolarité et même parfois au-delà. À quelques exceptions près rares sont les salariés qui pourraient supporter les charges grandissantes de la scolarité de leurs enfants. Hier le salaire du fonctionnaire ou l’employé du privé couvre pour l’essentiel ses besoins, besoins du reste très modestes à l’époque. Aujourd’hui chacun se voit obligé de tricher ou de recourir aux détournements des deniers publics ou privés pour subvenir, rien qu’aux dépenses insatiables de la scolarité de leurs enfants.

Donc au plan scolaire nous sommes dans une véritable impasse. Les parents d’élèves aux divers niveaux de revenus sont fatigués. Nos deux systèmes scolaires, publique ou privé, ne produisent plus que des cancres.

Écoles d’excellence et écoles de la médiocrité

Pour contourner cette situation aussi difficile, le régime de « la fameuse décennie » créa des écoles d’excellence et des écoles spécialisées, écoles accessibles principalement aux enfants des plus nantis, des hauts fonctionnaires, civils et militaires, notamment. Les écoles de « la médiocrité », c’est-à-dire les 95% de notre système scolaire, elles, ne bénéficient d’aucun intérêt.

Contrairement à toute notre sous-région, où le pourcentage des admis au Bac dépasse souvent les 50%, chez nous il frôle rarement les 10%. Pour nous l’école devient donc un véritable calvaire, et pour les parents et pour les enfants. Pour ce problème, véritable casse-tête, aucune solution n’apparaît à l’horizon.

Certains esprits, se présentant comme mieux éveillés, ne cessent de prôner le retour à l’école dite républicaine, l’école d’antan où le processus de scolarité se déroule sans accroc notable.

La décision opportune

C’est dans ces conditions que les autorités actuelles décidèrent d’enclencher un processus de retour à l’école publique dans ses années de gloire. À l’ouverture de l’année scolaire en cours, l’année scolaire 2022-2023, le gouvernement prend l’initiative d’accueillir les nouveaux inscrits en première année fondamentale uniquement à l’école publique, baptisée désormais « école républicaine ». La mesure fera tâche d’huile au fur et à mesure qu’elle progresse dans le système scolaire.

Cette mesure, d’apparence élémentaire, constitue en réalité une sorte de révolution de la taille, permettez-moi de le dire, de la création de la monnaie nationale ou la nationalisation de la MIFERMA au milieu des années 1970.

On dit, souvent et à juste titre, que comparaison n’est pas raison. Dans le cas en question il faut reconnaître que notre comparaison n’est pas aussi loin de la raison. Puisque en plus des mêmes démons soulevés par les mesures évoquées au milieu des années 1970, s’ajoutent aujourd’hui d’autres obstacles non moins compliqués que celles en question évoquées ci-dessus. Hier les mêmes intérêts coloniaux s’opposant à mort aux deux courageuses mesures évoquées, s’opposeront aujourd’hui à des mesures profitant aux langues et cultures nationales. Mesures qui pourraient provoquer une brèche dans le système d’enseignement colonial imposé encore à toute la sous-région. Les gouvernants français sont beaucoup plus sensibles aux questions culturelles. Ils avaient déjà saboté une réforme pareille au début des années 1980. Un autre obstacle de taille s’ajoute aux premiers. Il s’agit de celui dressé ou qui sera inévitablement dressé par l´establishment de l’école privée qui ne va pas se laisser facilement faire. Il combattra jusqu’à sa dernière goutte de sang pour préserver des privilèges gagnés de « hautes luttes ».

L’irruption de critiques, de diffamation, de banalisation et de dénigrement, diverses et variées, ainsi que des prophéties d’échec, de la dernière mesure instituant l’école républicaine, proviennent essentiellement des milieux de ces intérêts blessés par une mesure aussi courageuse et aussi audacieuse.

Tout l’avenir de notre pays se joue dans cette mesure d’apparence effectivement élémentaire mais de signification profonde. Je me demande honnêtement si les autorités responsables de cette mesure sont suffisamment conscientes de tout son intérêt et de l’ampleur des réactions si réactionnaires qu’elle ne manquera pas de susciter inévitablement?

La mesure nécessite donc une prise de conscience réelle de son intérêt. Sa défense doit être prioritaire sur tout le reste. Tout doit être mobilisé pour continuer à l’améliorer et à la perfectionner.

Le tollé de critiques, caricaturant également la mesure imposant à l’enseignant une tenue moderne à la place du bouffon boubou, rentre également dans le cadre du sabotage de la première mesure instituant l’école dite républicaine.

Comme quoi les défenseurs des intérêts néo-néocoloniaux ne dorment jamais. Restons, nous autres, au même degré d’éveil et de vigilance.

 

 

A S Elmoctar