Un conte datant de la fin du 19ème siècle relate l’aventure d’un empereur qui aimait être bien habillé. Un jour, deux escrocs prétendirent savoir tisser une étoffe qui n’est visible que par des personnes intelligentes et compétentes. L’empereur leur demanda alors de lui confectionner un costume.
En venant inspecter l’avancement des travaux de tissage, l’empereur et plusieurs de ses ministres ne virent rien, mais refusèrent de l’avouer de crainte d’être traités de sots ou d’incompétents.
Le jour où les deux escrocs décidèrent que l’habit fictif était achevé, tous les flagorneurs n’avaient de cesse de louer les vertus de cette étoffe extraordinaire. L’empereur fit semblant de l’enfiler.
Ainsi « vêtu » et accompagné de ses ministres, le souverain se présenta à son peuple qui, lui aussi, prétendit voir et admirer ses vêtements.
Seul un petit garçon osa dire la vérité en s’exclamant : « le roi est nu ! ». Et tout le monde lui donna raison. L’empereur comprit que son peuple avait raison, mais continua sa marche, sans dire un mot, indifférent à ce qui se passe autour de lui.
Par analogie, l’exclamation spontanée de cet enfant, dans ce contexte de flagornerie, rappelle la toute récente intervention de Khdeija Mint Kleib à Atar.
On sait que cette intervention a connu un succès retentissant dans tout le pays et même au delà.
Le moment est peut-être venu de se poser la question suivante: Pourquoi cette intervention a-t-elle été aussi bien accueillie par toute une nation ?
Une situation insupportable
Ce phénomène est à rattacher à la participation massive et variée des populations à la marche de l’opposition du 29 octobre dernier. L’intensité de l’impact de ces deux évènements est à rechercher dans le ressenti d’une situation qui devient de plus en plus insupportable pour le pays et pour l’ensemble de ses citoyens. Le ressenti d’un pays et d’une population qui étouffent et qui s’interrogent avec inquiétude sur leur présent et sur leur avenir immédiat.
Nous nous proposons dans les développements qui suivent d’analyser les principales causes du mal-être que ressentent nos populations.
1- Le pays et ses citoyens se paupérisent jour après jour à cause de la politique économique mise en œuvre par les pouvoirs publics. Cette politique après avoir mal géré, pour utiliser un euphémisme, la manne provenant des années de hausse sans précédent des prix des matières premières, s’est évertuée à maintenir à un niveau élevé les recettes budgétaires de l’Etat en compensant les manque à gagner du secteur extractif par des ponctions directes et indirectes sur le pouvoir d’achat des citoyens et sur les petites et moyennes entreprises.
Autrement dit, on a décidé sciemment de compenser, au-delà du supportable, la baisse de recettes du secteur extractif par des prélèvements intolérables sur les autres agents économiques. Avec comme effets pervers un appauvrissement continu du citoyen et une dégradation croissante du climat des affaires avec ses conséquences négatives sur l’investissement et l’emploi.
Plus grave, les ressources ainsi collectées, sont affectées non pour améliorer la qualité des services de base en particulier ceux de l’éducation, de la santé et de leur personnel, non pour alléger la pression fiscale sur les catégories les plus vulnérables de la population mais pour financer à hauteur de 140 Milliards d’ouguiyas environ, soit près de 30% du budget, des projets qui ne répondent, pour la plupart, à aucun des critères de sélection et de bonne qualité de réalisation exigés par la recherche de l’efficacité et de la pertinence dans l’utilisation des ressources publiques.
Pire encore, les retombées de ces travaux profitent quasi exclusivement à des entreprises et des sous traitants de l’entourage immédiat du pouvoir aggravant ainsi une iniquité déjà flagrante dans la distribution des ressources qui ne peut qu’engendrer plus de malaises et de frustrations.
Graves préjudices
Ces choix en matière de politique économique, tant en terme de fiscalité, qu’en terme d’arbitrage dans l’affectation des ressources entre l’investissement et l’amélioration de la qualité des services publics, qu’en matière de sélection et de qualité de réalisation des projets, qu’en matière de redistribution équitable et transparente des retombées des activités de l’Etat, ces choix donc, nous ne cesserons de répéter qu’ils occasionnent et qu’ils continueront d’occasionner de grands préjudices pour le pays, pour son économie et pour sa stabilité.
2- Le Pays étouffe sous l’effet de la hausse vertigineuse et inconsidérée des prix. En un an, les prix des denrées de première nécessité ont connu des augmentations spectaculaires : Le riz qui était à 220UM/kg se vend aujourd’hui à 300UM le Kg, le sucre est passé de 200UM/kg à 300UM/Kg, le charbon de bois se vend à 300UM/kg, le kg de courbine (poisson) atteint et dépasse parfois les 2500UM/kg, le litre d’huile de 350 à 450UM/litre. Cette réalité vécue et subie par chacun de nos foyers est un démenti flagrant aux statistiques officielles qui prévoient une inflation à 1,3% pour 2016.
Cette envolée des prix n’est pas fortuite, et a pour origine l’orientation des politiques budgétaire et monétaire mises en œuvre par les autorités en place. L’augmentation de la fiscalité décidée dans le cadre de la Loi de Finance Rectificative (LFR) d’aout 2015 s’est traduite en 2016 par des recettes additionnelles de 22,7% au niveau des taxes sur les biens et services, de 240,2 % des taxes sur les produits pétroliers, et de 71% sur les droits de consommation.
Au plan monétaire la parité dollar/ouguiya est passée de 241 en 2008 à 359 MRO pour 1 $ aujourd’hui soit une dépréciation de 49% de l’ouguiya, qui s’est accentuée ces deux dernières années et qui se poursuit.
3- Le pays est scandalisé par l’usage du pouvoir à des fins d’enrichissement personnel : usurpation sans pudeur des domaines publics pour construire des boutiques (école de police fruit de la coopération avec l’Arabie Saoudite) des hôtels et immeubles privés (stade olympique fruit de la coopération avec la Chine) des galeries marchandes (terrain de 6000m2 cédé « à qui de droit princier » par la Zone Franche de Nouadhibou), projet de vente de l’immeuble abritant notre ambassade à Washington; monopole de l’intermédiation pour des marchés de gré à gré sur financements liés; octroi dans l’opacité des marchés financés sur ressources propres du budget de l‘Etat ; favoritisme ayant enfanté une nouvelle classe de riches dans l’environnement exclusif du pouvoir (la presse vient de publier une liste de 15 nouveaux fortunés avec les détails sur l’évolution et l’origine de leur enrichissement).
Un pays qui s'isole
4- Le pays est préoccupé au plus haut point par la dégradation de nos rapports avec nos voisins et nos partenaires stratégiques. Avec le Sénégal, le Maroc, leMali, la France nos relations connaissent une détérioration alarmante alors que l’ensemble des considérations géostratégiques doivent nous conduire à améliorer sans cesse notre amitié et notre coopération avec ces pays avec lesquels nous partageons des intérêts, des valeurs et des liens indéfectibles qui résisteront à toutes les vicissitudes et comportements inappropriés.
Aujourd’hui, on nous accuse de nous départir de notre politique traditionnelle de neutralité sur la question du Sahara Occidental. On nous suspecte de soutenirYaya Jammeh dans son refus de transférer le pouvoir après avoir été démocratiquement battu. On décèle dans les discours et comportements officiels la velléité de nourrir des sentiments anti-français.
Notre pays a plus que tout autre besoin de s’ouvrir. Peuplé de moins de 4 millions d’habitants dont 31%, selon les chiffres officiels, vivent en dessous du seuil de pauvreté il ne constitue pas un marché permettant la diversification de son économie, son développement et la garantie de sa sécurité.
Il a donc besoin d’une diplomatie moins provocatrice, plus flexible et plus coopérative, soutenue par une volonté de s’intégrer dans son environnement naturel et de s’ouvrir davantage au reste du monde. Un pays qui s’isole étouffe et, avec le temps, se décompose. Et c’est le danger qui nous menace.
5- Le pays est plus que jamais menacé par la montée du tribalisme, du chauvinisme d’État qu’on ne se cache plus d’encourager, de l’intolérance et de l’extrémisme et l’obscurantisme. Et cette dangereuse trajectoire conduira inéluctablement à la confrontation et à la déstabilisation.
La Mauritanie est un pays où cohabitent des composantes présentant chacune sa particularité et sa différence. Ces différentes composantes ont besoin, pour vivre ensemble dans l’harmonie, d’une société plus moderne, plus citoyenne.
Nous avons des communautés qui se sentent victimes de discrimination, qui réclament le règlement du passif humanitaire, qui se plaignent de l’accaparement de leurs terres, qui exigent plus d’équité et de considération pour elles et pour leur culture, le respect de leur droit à l’accès équitable aux services publics et, en particulier, à l’Etat Civil.
Nous avons aussi des citoyens qui ont connu ou qui connaissent encore, sous une forme ou une autre, le joug de l’asservissement et qui posent, avec vigueur parfois, le problème de l’éradication de l’esclavage et de ses séquelles.
Nous sommes au 21ème siècle où nul n’est à l’abri des effets bénéfiques et pervers de la mondialisation.
Comment dans ces conditions peut-on tourner le dos aux nécessaires reformes de modernisation de notre corps social pour nous replier vers l’étroitesse identitaire et l’exclusion qui sont sources de subjectivisme, de haine et de confrontation.
On est en droit de se poser des questions sur les intentions inavouées qui sous-tendent cette orientation.
6- La peur s’installe dans les esprits à cause de l’insécurité. Il ne se passe plus un jour sans qu’il y ait des assassinats, des viols, des vols et des agressions perpétrés contre des citoyens sans défense.
L’environnement est pollué par les odeurs et les nuisances des ordures qui obstruent la quasi totalité des rues de Nouakchott, depuis le départ de Pizzorno.
Devant une telle accumulation de risques, les citoyens et leur représentation nationale (tant dans les rangs de la majorité que dans celle l’opposition) sont écartés de toute contribution effective aux décisions stratégiques qui engagent leur avenir et celui de leurs enfants. La gestion de la chose publique est caractérisée par l’improvisation, l’autoritarisme et l’opacité.
C’est ce ressenti d’un pays qui sombre dans le dénuement, qui s’engage tant dans des situations conflictuelles, périlleuses dans ses relations extérieures que dans la gestion des problèmes de société, qui crée un malaise profond chez chacun d’entre nous.
La gravité de cette situation et l’ampleur des dangers qui nous menacent interpellent tous citoyens pour qu’ils s’impliquent dans un effort collectif de sauvetage et de salut national.
Le Calame