Espagne : près de 47 000 migrants ont rejoint les îles Canaries en 2024, record historique

ven, 01/03/2025 - 17:18

Au cours de l'année 2024, 46 843 exilés, principalement en provenance d'Afrique de l'Ouest, ont atteint les îles Canaries. Du jamais vu pour l'archipel espagnol, qui fait face depuis plusieurs mois à une saturation de plus en plus importante de son système d'accueil.

Un record historique. Le ministère espagnol de l'Intérieur a dévoilé jeudi 2 janvier les chiffres de l'immigration vers l'Espagne en 2024. En tout, 46 843 personnes ont rejoint les îles Canaries, contre 39 000 l'an passé, soit une hausse de plus de 17 % sur un an.

Concernant l'ensemble de l'Espagne, 63 970 migrants sont arrivés illégalement par voie terrestre ou maritime, contre 56 852 en 2023 (soit 12,5 % de plus), d'après le ministère. Un chiffre largement gonflé par l'afflux aux Canaries, qui constitue de loin la principale porte d'entrée des migrants dans le pays. Ces données se rapprochent également du record de 2018, où 64 298 exilés avaient atteint la péninsule ibérique.

Mais l'augmentation du nombre d'arrivées dans l'archipel espagnol s'accompagne d'une autre hausse bien plus funeste : celle des décès sur cette route. Face à l'extrême dangerosité de cette voie migratoire, en plein océan Atlantique, à la merci des intempéries et des forts courants, de plus en plus de personnes périssent chaque année en tentant la traversée depuis la côte nord-ouest du continent africain.

En 2024, près de 10 000 personnes ont ainsi perdu la vie ou ont disparu en mer en essayant de gagner les îles espagnoles, contre 6 000 en 2023, selon un rapport publié fin décembre par l'ONG Caminando Fronteras. Pour l'association, la route des Canaries est ainsi bel et bien devenue "la plus meurtrière au monde".

Les systèmes d'accueil de l'archipel "complètement dépassés"

Cet afflux d'exilés sur les îles Canaries a cependant des conséquences sur leur prise en charge et fait pression sur son système d’accueil, notamment sur celui réservé aux mineurs non accompagnés. Fin octobre, l'on dénombrait par exemple près de 6 000 jeunes migrants pris en charge dans l’archipel, pour une capacité de 2 000 places réparties dans 81 centres d’accueil.

Sauf que cette saturation entraîne une détérioration des soins de santé, pourtant indispensables aux mineurs après des jours passés dans l'océan Atlantique, sans eau ni nourriture en quantité suffisante.

Les services de santé se disait d'ailleurs "complètement dépassés", confiait le pédiatre Abián Montesdeoca au média Cadena Ser en octobre. "Il est triste de voir qu'un pays avec un niveau de développement comme le nôtre n'est pas capable de soigner […] ces mineurs".

D’après le médecin, certains jeunes arrivent très mal en point aux Canaries, n’ayant pas pu traiter leur pathologie dans leur pays d’origine. S’ajoutent à cela "l’hypothermie, la déshydratation, les blessures et les infections qu’ils ont contractées en mer".

En outre, une enquête a été ouverte début octobre 2024 par la justice des Canaries pour quatre cas de mauvais traitements et d’abus commis dans des centres d’accueil pour migrants mineurs, deux à Tenerife et deux à Grande Canarie, rapportait le quotidien espagnol El País.

Les adolescents interrogés parlaient d'abus sexuels par des migrants adultes, hébergés dans la même structure qu'eux, ou encore "d'agressions physiques et de mauvais traitement continus" de la part des employés locaux.

Mesure pour répartir les mineurs dans d'autres régions au point mort

Débordées par les arrivées de ces derniers mois, les autorités canariennes ont donc lancé un cri d'alarme. Car si la prise en charge des exilés adultes relève du gouvernement central de Madrid, celle des mineurs non accompagnés est de l'ordre de la responsabilité des seules régions autonomes. C'est ce qu'a d'ailleurs rappelé ce jeudi le ministre de la Politique territoriale, Ángel Victor Torres, qui a estimé leur nombre aux Canaries entre "4 000 et 5 000".

Une mesure destinée à répartir les mineurs arrivés aux Canaries dans d’autres régions du pays est pourtant à l’étude depuis plusieurs mois. Mais elle bloque, car l'exécutif et l'opposition ne parviennent pas à s'entendre.

Dans le détail, le gouvernement socialiste souhaite réformer l’article 35 de la loi Immigration, qui acterait l’accueil obligatoire des mineurs non accompagnés dans les différentes structures du pays (sur le continent), lorsqu'un territoire (comme les Canaries ou les enclaves Ceuta et Melilla) dépasse 150% de sa capacité d'accueil.

Mais les discussions sont au point mort : le 5 octobre dernier, le Parti populaire (PP), principal parti de l'opposition de droite, a quitté la table des négociations, mettant un coup d’arrêt à la réforme. "Les mineurs non accompagnés ne sont pas des colis express à distribuer entre les communautés autonomes", a encore lancé ce jeudi le porte-parole du PP, Borja Sémper.

Pedro Sanchez, une politique d'ouverture à l'immigration

Dans une Union européenne marquée par une forte poussée des mouvements d'extrême droite et un net durcissement du débat sur l'immigration, l'Espagne fait pourtant figure d'exception en la matière.

Son Premier ministre Pedro Sánchez défend une approche positive de l'immigration, et n'hésite pas à en vanter les bénéfices face à une Espagne vieillissante en manque de main-d’œuvre. C'est dans cette optique qu'à la mi-novembre, le gouvernement de gauche a adopté une réforme visant à faciliter la régularisation de dizaines de milliers de migrants en situation illégale.

Cette mesure prévoit notamment de réduire les délais pour l'obtention des titres de séjour et d'étendre de trois mois à un an la durée du visa de recherche d'emploi. Avec celle-ci, le gouvernement estime que quelque 300 000 immigrés pourraient potentiellement être régularisés chaque année au cours des trois prochaines années.

Sauf que la politique d'ouverture du dirigeant socialiste suscite de vives critiques de la part de l'opposition de droite et de l'extrême droite. Ces tensions sont d'ailleurs de plus en plus visibles aux Canaries. Fin octobre, une manifestation y avait rassemblé plusieurs milliers de personnes pour protester contre l'afflux de migrants dans l'archipel, aux infrastructures et aux ressources limitées.

 

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