Le Président de la République, Mohamed Cheikh Ghazouani est arrivé à Kiffa, Capitale de l’Assaba situé à 600 Kilomètres de Nouakchott, le 11 mai 2024 pour inaugurer un certain nombre de projets dont celui relatif à la gestion des ordures de la ville. Seulement, le projet bute sur l’inexistence de fonds de roulement pour les équipements et le payement du personnel.
Dans une effervescence de pré-campagne électorale en prélude à la présidentielle de juin 2024, le président Ghazouani qui brigue un second mandat a été accueilli avec faste samedi 11 mai 2024 à Kiffa, capitale de l’Assaba, par une foule de laudateurs dont certains ont fait le déplacement depuis Nouakchott et certaines villes du pays.
Au programme, l’inauguration d’un certain nombre de projets, dont celui relatif à la gestion des déchets solides de la ville de Kiffa. Il s’agit d’un projet qui est passé par deux processus, avec une phase pilote financée par l’Union européenne et une phase exécution, celle qui est en cours, sur financement de la Banque Mondiale à hauteur de 71 millions de dollars US dont 66 millions sous forme de dons. https://moudoun.mr/
Il faut dire que le développement urbain et démographique sans précédent de la ville de Kiffa, plus de 60.000 habitants selon le recensement de la population (RGPH) 2013, a engendré une augmentation de la production de déchets urbains de toutes natures.
https://moudoun.mr/wp-content/uploads/2021/01/PDC-Kiffa-Rapport-Final-F.pdf
La gestion des déchets solides pose aujourd’hui un problème majeur à Kiffa et les localités avoisinantes, face aux montagnes de déchets qui s’accumulent dans la ville et ses alentours, d’où la nécessité de la création d’un système de gestion des ordures comprenant la collecte primaire et secondaire, ainsi que l’enfouissement.
Composition du projet
Le projet Gestion des déchets solides de la ville de Kiffa comprend l’acquisition de 6 camions bennes pour le transport des ordures, 18 caisson à ordures, un chargeur et 14 tricycles. Il comprend également la construction d’un centre d’enfouissement technique (CET), la construction d’un dépôt provisoire des déchets solides et d’autres composantes.
Il est prévu aussi le recrutement de 60 agents, la fourniture de bacs de dépôt des ordures en vrac devant les habitations et un circuit de ramassage quotidien qui se termine par un centre de tri, pour séparer les déchets recyclables et les déchets ménagers.
Le CET est pris en charge dans le cadre du Projet d’appui à la décentralisation et au développement des villes intermédiaires productives « Moudoun », géré par le ministère de l’Habitat et l’expérience doit être répliquée dans d’autres régions
Une phase pilote chaotique
Lancé en 2018, le projet gestion des déchets solides de Kiffa a connu une phase pilote qui s’est achevée en 2022 sur financement de l’Union européenne à hauteur de près de 766.000 euros, dont 200.000 répartis entre le gouvernement mauritanien et la commune de Kiffa, le reste étant supporté par l’Union européenne. (VOIRE : https://ami.mr/fr/archives/245725)
A l’époque, tout le processus avait été mis en place, partant de la formation du personnel chargé de la collecte, la sensibilisation des populations, la fourniture de bacs d’ordure devant chaque concession, l’acheminement par camions des déchets à la décharge où des agents de tri devaient séparer les déchets recyclables et les déchets ménagers.
Cette phase a connu cependant un incident majeur. Même si la pandémie du Covid avait impacté sur son bon déroulement, le partenaire européen a dû taper sur la table en mai 2021 pour exiger la contrepartie du gouvernement mauritanien et de la commune de Kiffa conformément à leurs engagements avant le versement de la deuxième tranche du projet (VOIR : https://www.chezvlane.com/Du-non-respect-des-engagements-de-l-Etat-mauritanien-cas-du-projet-de-dechets-solides-a-Kiffa-finance-par-l-Union_a22333.html).
La commune n’a pas de moyens
Aujourd’hui, le projet gestion des déchets solides de Kiffa connaît un sérieux problème de financement, la Banque Mondiale s’étant contenté de l’achat du matériel roulant et la construction d’un Centre d’enfouissement d’une valeur de 1 milliard d’ouguiyas environ. Mais sans un sou pour la prise en charge des autres phases du processus. Et la mairie de Kiffa n’a pas les moyens de payer le gasoil ni le personnel. Les recettes de la commune sont insuffisantes comme l’est l’apport de l’Etat à travers le fonds régional de développement (FRD). Le budget de fonctionnement de la commune s’élève à un plus de 71 millions anciennes ouguiyas (177.500 dollars US), recettes propres et subvention de l’Etat compris. https://moudoun.mr/wp-content/uploads/2021/01/PDC-Kiffa-Rapport-Final-F.pdf
Depuis six mois, les camions bennes et les chargeurs ainsi que les tricycles payés sur fonds de la Banque Mondiale étaient restés abandonnés dans un terrain vague, faute de pouvoir assurer le payement des chauffeurs et leurs aides, sans aucune ressource financière pour rémunérer les agents de collecte et pour l’achat du carburant.
Dans ce cadre, le centre d’enfouissement des déchets ne serait qu’une opération superflue, car aucun camion ne viendra le remplir. La situation est restée en l’état jusqu’à la visite du président Ghazouani. Selon des informations concordantes, un petit subside a été remis au Maire de Kiffa pour payer le carburant juste le temps d’une démonstration devant le président de la République, Ould Ghazouani.
La même situation prévaudrait également à Rosso, selon les mêmes sources, avec un projet de gestion des ordures en panne, un CET non opérationnel, faute de moyens financiers qui l’accompagnent.
Et pourtant…
Malgré l’incertitude qui plane sur la mise en œuvre effective du Projet déchets de Kiffa, le maire de la commune, Jemal Ould Keboud, a procédé le 7 mai 2024, soit quatre jours avant la visite du Président Ghazouani, à la signature d’un accord liant sa commune et le projet dirigé par son Coordinateur, Bousseif Ould Sid’Ahmed, en présence du Wali de l’Assaba.
(VOIRE : https://ami.mr/fr/archives/245489)
Un projet de référence sur le papier
A revenir sur la conception du projet, c’est une merveille sur le papier. Financé à près de 80% par l’Union européenne, le projet de déchets de Kiffa était parti pour servir de référence, grâce à l’expertise des partenaires de mise en œuvre, en l’occurrence l’entreprise française Corail Développement, notamment son expert Franck Eloi, spécialiste de la gestion des déchets et de la pollution de l’air, ainsi que son partenaire local, l’Association de Développement Intégré du Guidimagha (ADIG). Cette équipe avait procédé à un diagnostic, formulé des recommandations techniques et institutionnelles sans compter la prise en charge de la maîtrise d’ouvrage du projet.
Une nonchalance qui perdure
S’il y a un projet qui a connu des couacs et des reprises poussives, c’est bien le Projet déchets de Kiffa. En effet, dans sa phase pilote, ce projet lancé depuis 2018 devrait s’achever 30 avril 2022. (VOIRE : https://corail-developpement.org/actualites-des-projets-et-des-missions/page/12/);
Avec la reprise en main par l’Etat mauritanien, à travers le programme « Moudoun », du projet déchets de Kiffa, le projet est resté dans sa phase statique. Sans moyens conséquents, il risque de devenir un des nombreux éléphants blancs de l’ère Ghazouani.
Cheikh Aïdara