PROFIL DE CAS : Affaire Ould Abdel Aziz. Le « Procès de la « honte ».

sam, 10/21/2023 - 01:36

S’il y’a un procès qui suscite une curiosité ou des curiosités, c’est bien le procès dit « De la décennie » ou si vous voulez le procès spécial  des crimes économiques et financiers.

 

Plus connu sous le générique « Procès de Ould Abdel Aziz », ce procès constitue la phase finale d’une longue « machination » dont, en réalité,  le bût final n’était que celui de juger un homme lâché par les « siens ».

 

Evidemment que le but recherché  a été atteint. Aziz a été convoqué à multiples reprises par la police des crimes économiques et financiers. Il a été  interrogé dans un environnement et dans des conditions peu compatibles aux droits garantis par la   Constitution et il a été  gardé à vue le plus  souvent dans des conditions dégradantes,  humiliantes avant d’avoir été  incarcéré par un isolement total, psychiquement  très négatif  sur son  moral.

 

Mais tout ce qui a été fait depuis le début de cette affaire et jusqu’au moment où cet article est publié,  n’est que  la conséquence des faits qui sont reprochés à un ancien chef d’Etat qui, en réalité et, -c’est vraiment  regrettable-,  n’en était pas un, ou  qui  n’était chef d’Etat  que par son  titre constitutionnel, un titre  qui lui servait de badge  pour  commettre des actes contraires aux valeurs morales d’un chef d’état.

 

Un homme traqué par ses agissements.

 

Quelques soient les raisons qui ont poussé  ses adversaires à le lâcher, (que ces raisons soient, comme il le dit lui-même, pour l’empêcher de faire de la politique, ou que ces raisons soient celles de vouloir se débarrasser définitivement d’un hommes qui commençait sérieusement à « agacer » les membres influents de son « Clan »), en tous cas,  rien, vraiment rien, ne jouait en faveur d’un homme qui était tout le temps  tout au long  de sa durée au pouvoir (11 ans), plus préoccupé par son enrichissement illicite  démesuré que  par la cohésion avec  l’aile politique de la Majorité  qui l’avait  mené au pouvoir, un pouvoir qu’il ne méritait  ni  par son honnêteté morale, ni par ses valeurs intrinsèques, ni par ses compétences.

 

Les conclusions de l’enquête parlementaire, (même si cette enquête donnait l’impression de suivre une feuille de route toute tracée  pour,   d’une part,  s’intéresser particulièrement à certaines affaires et pas d’autres, et d’autre part,  pour  s’appesantir sur les détails de certaines affaires et pas sur les détails d’autres), quand même,  les conclusions de l’enquête préliminaire de la  police des crimes Economiques  et Financiers, (même si les interrogatoires étaient plus drastiques  pour certains accusés et pour  certains témoins que pour d’autres), convergeaient toutes    vers une réalité indéniable :   Ould Abdel Aziz  est bien auteur de crimes et délits financiers et économiques graves commis par actes parfois   posés  par lui-même et parfois posés   par  les  agissements  de personnes physiques ou morales qui lui servaient d’écrans de fumée.

 

Justice multigrade  à vitesses  multiples.

 

Mais là n’est pas le problème. Le problème est la  tenue  même de ce procès qui était tant attendu par les mauritaniens.  Les autorités judiciaires mauritaniennes ont rejeté catégoriquement la demande exprimée par le principal accusé  pour la retransmission en direct de ce procès, procès à accès très limité. Cette retransmission, non  pas seulement pouvait permettre  aux mauritaniens de suivre minute par minute les assises de ce procès, mais surtout,  elle pouvait permettre à chacun de nous, de coller  un nom sur chaque visage des  accusés de ce procès.

 

 

Donc,  le fait que la justice (qui,  peut-être,  a agi en toute indépendance et peut-être  aussi  a  agi sous  influence de sa tutelle),  n’a pas accepté  la retransmission en direct du procès comme par exemple c’était le cas en Guinée Conakry. Evidemment, cette décision avait  donné  un gout amer  d’incompréhensible dans l’attitude des autorités  judiciaires. Ceci d’une part.

 

D’autre part, ce choix laissé à des accusés et surtout à des témoins, - (que ceux-ci soient à charge ou à décharge)-,  de ne pas répondre obligatoirement  à certaines  questions des avocats au cours des plaidoiries,  a dévalué complétement le débat sur des questions de fonds mais aussi  sur des questions de formes.

 

Cette décision prise par la justice de laisser la latitude  à certains  témoins véreux  appelés à la barre de répondre à certaines questions et pas à d’autres,  semble laisser comprendre ou dessiner les contours d’un probable arrangement  entre la justice et certains témoins qui donnent l’impression d’avoir été  choisis en  fonctions de la nécessité de démontrer par des témoignages à charge et faits  avérés,   l’implication et le rôle joué par Ould Abdel Aziz dans certaines affaires.

 

Des objectifs « ciblés » par la tenue du procès.

 

Certes, dans ce tribunal,  il y’a tous les éléments constitutifs d’un procès dans sa forme classique qui sont réunis ;   Il y’a une cour, un ministère public, des avocats de la partie civile  et  ceux de la défense, des accusés, des témoins et un public d’audience même si il est  limité dans son nombre.

 

Tout évidemment, sous son aspect  judiciaire se déroule comme tout procès. Mais, il y’a un « mais ». Le procès donne l’impression que tout tourne autour des charges à faire peser sur la personne de Ould Abdel Aziz dans le but de prouver aux yeux des  mauritaniens que la Commission Parlementaire qui avait  déclenché tout le processus, n’avait  pas choisi l’ancien président  au hasard pour enquêter sur la gabegie, sur  le détournement  des deniers publics en bande organisée, et sur  le pillage des ressources par des malversations économiques teintées de corruption.

 

Même si, (d’une pierre deux coups), l’Assemblée Nationale a, d’une part,   euthanasié  politiquement Ould Abdel Aziz,  et, sur le plan judiciaire  l’a réduit à son profil  réel,  celui d’un chef  d’état qui  n’était préoccupé que par  son enrichissement illicite démesuré, cette assemblée nationale  n’a fait  que prouver aux mauritaniens et à  la communauté internationale que l’ancien président était bien un « délinquant » économique et financier  en conflit avec la loi.

 

Et c’est d’ailleurs pourquoi, maintenant, la tenue du procès démontre par  des faits avérés que Ould Abdel Aziz s’est enrichi démesurément. A la barre, l’accusé  a clamé  son innocence et déclaré  que les biens dont il dispose sont bien « biens acquis ». Il  cite même un témoin.  Ould Ghazouani, qui selon sa déclaration,  connait l’origine de tous ses biens.

 

Ce qui est faux. Ghazouani l’actuel président, connait peut être l’origine d’une partie des  biens de l’ancien président, mais  ne peut en aucun cas, (même en tenant compte du rapprochement par le passé des deux hommes) connaitre  l’origine de tous les biens d’un chef d’état qui avait transformé son bureau en bourse cotée à toutes formes de corruptions possibles et imaginables.

 

Faux aussi,  parce que  simplement les  biens  mal ou bien acquis par  l’ancien président partent du véhicule de  petite cylindrée à des immeubles  à niveaux multiples de valeurs immobilières  inestimables en passant par des domaines fonciers du très haut de gamme de la spéculation et des sommes faramineuses dissimulées dans des comptes bancaires parfois offshores .

 

Ould Abdel Aziz, sait parfaitement bien   lui-même  personnellement, qu’il  est incapable de justifier l’origine de tous ses biens, dont la majeure partie, est selon l’enquête,  les retombées de la corruption et du blanchiment d’argent.

 

Même si donc,  par un cumul de preuves irréfutables, Ould Abdel Aziz est obligé de  répondre de ses actes,  pour ses agissements incompatibles avec  ses fonctions constitutionnelles, le tribunal qui le juge, semble avoir « oublié » que le bût  recherché  par ce tribunal est de juger des accusés sur des faits et délits en rapport avec le vol, le détournement, le trafic et le blanchiment d’argent.

 

Si les preuves se sont,  ou,  ont  été  accumulées pour donner peu de chances à Ould Abdel Aziz de sortir de ce procès avec un casier judiciaire vierge, -(ce qui est peut-être le but recherché)-,  le procès du siècle qui a commencé  en queue de poisson semble se terminer en queue de phacochère, courte, sale et ébouriffée.

 

Des témoins délinquants et criminels appelés à la barre.

 

Certains des  témoins  à charge qui ont  défilés   la barre, pour « enfoncer » l’ancien président par des révélations graves s’étaient  accusés eux-mêmes,  parfois  de complicité avec le principal accusé,  parfois de recel  de bien publics et parfois, ce qui est plus grave encore, de crimes de blanchiment d’argent et de trafic transfrontalier de métaux précieux.

 

C’est pourquoi, on peut se demander si,  le tribunal n’a pas, à un moment, ou d’ailleurs à plusieurs moments  oublié qu’il juge de faits liés aux crimes économiques et financiers,   et qu’il ne juge pas  un « seul » accusé  (Ould Abdel Aziz) qui se bat contre tout et tous.

 

C’est d’ailleurs pourquoi, on est en droit de se demander, si le ministère de la justice, par justice à l’égard de l’accusé principal,  mais aussi  par justice à l’égard des citoyens de ce pays qui sont en droit de savoir tout sur cette affaire  « des affaires » parfois troubles  et parfois « incompréhensibles »,  ne doit pas décider de tout reprendre à zéro, pour que d’autres mauritaniens  que tout  accuse  par la qualification des faits que le tribunal juge,  soient eux aussi présents  dans le box des accusés ?

Le Tribunal qui juge de cette   affaire du siècle,   a-t-il peur d’aller  « très loin » dans la recherche de la vérité,  ou a-t-il peur d’aller « trop près » pour ne pas entendre des témoins qui, pour la défense  constituent des éléments-clés pouvant  apporter des éclaircissements nécessaires au dire de la vérité et rien que la vérité ?

Il est évident qu’en aucun cas,  Ould Abdel Aziz, (au vu des charges retenues contre lui et au vu des preuves irréfutables réunies),  ne peut échapper au prononcé d’un verdict qui va peut-être, le priver de sa  liberté longtemps,  ou  peut-être  aussi  longtemps que l’actuel président  restera au pouvoir.

Même  si une  condamnation était bien le but recherché par la feuille de route de toute la procédure engagée contre Ould Abdel Aziz, le procès, en présence  de l’intéressé, a apporté quand même  suffisamment de preuves pour qu’une condamnation même lourde ne soit ni une surprise pour l’accusé lui-même, ni une surprise pour sa défense (pour laquelle l’implication de l’ancien président dans certaines affaires ne facilite pas la tâche),  ni une surprise pour  les mauritaniens qui décrivent Ould Abdel Aziz comme le plus mauvais président qui s’est assis sur le fauteuil présidentiel  depuis le 28 novembre 1960.

Et finalement tout ce boucan pourquoi ? Ou pour  rien ?

Une fois toute cette affaire terminée. Une fois le verdict rendu   et  une fois le dossier  clos, est ce que les mauritaniens dans leur majorité peuvent croire à leur justice après la  conduite vacillante  d’un procès pas comme les autres. Un procès dont certains témoins que tout accuse, sont venus  à la barre pour  se déclarer  eux-mêmes coupables  de crimes et  délits jugés par ce « tribunal  d’exception » et, qui,  sont repartis libres de leurs mouvements et sans être inquiétés.

Est-ce que les mauritaniens, qui ont  découverts au cours des assises de ce procès  que  des criminels transfrontaliers servaient de « mules » pour sortir du pays nos richesses vont  avaler le fait que ces criminels en conflit avec la loi,  n’ont pas été poursuivis et que d’autres,  des trafiquants  à la solde de l’accusé principal     soit directement,  ou soit par personnes interposées  sortaient de la salle d’audience librement alors que des innocents sont enfermés dans le box des accusés  ?

J’ai bien peur de croire que ce procès,   taillé  sur  la mesure  d’un homme que cible une  sanction décidée par son « Clan », ne soit un procès de la honte à cause de son acharnement sur un homme au lieu de son acharnement sur des faits qui sont reprochés à des mauritaniens dont certains ont  « été échappés » à la procédure  par  les mailles du « tamis » politique  d’une procédure  biaisée dès le  départ.

Mohamed Chighali

Journaliste indépendant.