LIBRE OPINION : SAHEL/ Quand les avancées démocratiques sont menacées.

mar, 08/15/2023 - 23:26

Quand un militaire arrache le pouvoir à un chef d’état démocratiquement élu, que ce militaire prenne ce pouvoir à la manière de Ould Abdel Aziz (Mauritanie),  à la manière d’Assimi Goïta (Mali), à la manière de Mamady Doumbouya (Guinée), à la manière de Mahamat Idriss Déby Itno (Tchad) ou qu’il le  prenne à la manière de  Paul-Henri Sandaogo Damiba (Burkina Faso),  dans tous les cas de figures,  ce militaire, piétine la constitution de son pays et évidemment crache sur la démocratie.

Entre 1980 et  2022, le monde  a enregistré 85 coups d’Etat ou tentatives de coups d’Etat. Si certains de ces coups d’Etat paraissent  parfois insolites ou surprenants par leurs motifs, comme celui de la Thaïlande (1991) de la Russie (1993), du  Qatar (1995), de la Turquie (1997), de la Tunisie (2021), en tous cas, les trois coups d’Etat survenus ces deux dernières années au  Sahel sont devenus de véritables casse-têtes tant sur le plan politique que sur le plan militaire.

Depuis  1980, le Sahel a vécu des périodes très  troubles. Dans cette région, l’une des plus pauvres de l’Afrique, le Niger bat le record  des changements de régimes avec  ses cinq coups d’Etats (1996, 1999, 2010,2021  et 2023). Il  est suivi par le  Mali, quatre coups d’Etat (1991, 2012, 2020 et 2021). Vient ensuite  la Mauritanie avec trois coups d’Etat, (2003, 2005 et 2008)  et enfin le Burkina Faso avec ses  deux coups d’Etat qui se sont chevauchés en 2022.

Quand les coups d’Etat prennent des tournures inquiétantes.

En Afrique, et particulièrement au Sahel, les populations sont devenues très familières avec ces changements de régimes, des changements parfois de complaisance ou d’abus de pouvoir. On peut citer en  exemple ce qui était arrivé au Tchad, quand le général Mahamat Idriss Itno, après la mort d’Idriss Déby  son père, sans forme de procès,  avait pris le pouvoir comme un « d’héritage ».

Mais ce qui s’est passé au Mali et au Burkina Faso après l’arrivée au pouvoir d’Assimi Goïta et  d’Ibrahim Traoré laisse planer une très grande  ’inquiétude sur toute la région. Une inquiétude de laquelle nous devons prendre conscience à temps. Parce qu’au-delà même de l’aspect militaire de la question, -aspect qui reste le plus  décrié-, il y’a l’aspect démocratique et au-delà, évidemment,  l’aspect économique et financier qu’entrainent de telles situations.

Que des militaires, que ce soit au Mali, en Guinée, au Burkina Faso, au Tchad ou au Niger prennent le pouvoir pour écarter un chef d’Etat en évoquant une raison valable à leur geste, cela peut se comprendre. Mais quand ces militaires  prennent  le pouvoir dans leur propre intérêt ou pour servir l’intérêt d’une puissance étrangère cela est inadmissible.

C’est inadmissible, parce que ce n’est, ni dans l’intérêt des pays où les événements se déroulent, ni dans l’intérêt de la sous-région à laquelle appartiennent ces  pays théâtre d’événements parfois très graves.

Assimi Goïta, un meneur de « pagaille » qui joue avec le feu.

Désigné président du Comité National pour le Salut du Peuple en août 2020, Assimi Goïta   a été  ensuite  désigné Chef  de l'État.      En  septembre 2020,   il reste aux affaires en qualité  de vice-président,

En   mai 2021, après l'annonce d’un  gouvernement conduit par Moctar Wane, (un gouvernement qui avait écarté  les colonels Koné et Camara), le colonel Assimi Goïta, on ne sait en vertu de quels pouvoirs, annonce  tout bonnement avoir « démis de leurs prérogatives » le président  de la République et le Premier ministre. Il  les accuse de « sabotage » de la transition en leur reprochant d'avoir formé un gouvernement sans se concerter avec lui.

Assimi Goïta avait donc  agi  d’abord dans  son intérêt propre  et ensuite dans l’intérêt de  ses proches. Agé de 40 ans, par  son  retour au pouvoir  avec force et brutalité antidémocratiques,  Assimi Goïta, a donc semé  un  désordre anticonstitutionnel et antidémocratique dans son pays.

 

Mali, une politique de provocation envers la France.

 Le  24 août 2020, La junte au pouvoir au Mali se sépare des émissaires ouest-africains de la CEDEAO refusant tout accord sur les conditions du retour à l’ordre constitutionnel. C’est le bras de fer  entre Assimi Goïta et l’organisation Ouest Africaine.

Réunis à Accra le 9 janvier 2020, les dirigeants de l’organisation ouest-africaine avaient donc opté pour des effets de dissuasion. Ils avaient  fermés les frontières de ce pays, suspendus toutes  transactions commerciales,  gelés les avoirs et rappelés les ambassadeurs des pays  membres de l’organisation.

Assimi Goïta très ferme plie mais ne rompt pas. Au contraire il est pris d’une folie de « grandeur » qui ne s’explique pas et qui ne se justifie  pas. Il remonte psychologiquement les maliens contre la France et la CEDEAO et il  joue à la tête de file en appelant les maliens à descendre dans la rue pour   déverser  leur  colère sur  la France.

En février  2022, les soldats français de l’opération Barkhane sont sommés de quitter le Mali et ils sont bousculés par des comportements hostiles envers la France. Les   neuf ans  de mariage du Mali  avec la France pour lutter contre les mouvements islamistes  se terminent par un divorce unilatéral brutal teinté de violences verbales. C’est aussi la séparation de corps de ce pays  avec les partenaires européens de la France et le Canada qui ont fait le choix de se retirer.

En  mai 2022, le Mali se retire du G5 Sahel. Une décision que les autres pays membres ont du mal à s’expliquer. Après neuf ans de présence au Mali, les derniers militaires français de la force Barkhane quittent  le pays  à un moment où les  relations sont très  tendues entre la France et la junte au pouvoir à Bamako.

La France  mal aimée, traquée et indésirable au Sahel.

Certains pensent que ce  sont  les coups d'Etat  survenus au Mali, au Tchad et au Burkina Faso qui ont beaucoup joué  en faveur de la  dégradation très avancée  des relations   que la France entretenait avec  ses anciennes colonies. Pourtant non. Parce qu’au  fur et à mesure que le temps passe  on se rend compte que la France est la cible d’attaques dont les mobiles sont ailleurs.

Evidemment que les russes sont indexés. Et rien jusqu’ici,  après les événements survenus au Mali, au Burkina et au Niger ne vient prouver que ces russes n’ont rien avoir avec les évènements survenus. C’est bien le contraire. Au cours de toutes les manifestations qui ont été organisées après  les prises de pouvoirs dans ces pays, les manifestants brandissaient  des drapeaux russes, des drapeaux que la plupart des sahéliens ne connaissaient même pas avant l’arrivée des mercenaires russes sur le sol du Mali.

Et depuis que ces mercenaires sont venus en appui aux FAMAs, et jusqu’à présent, ces mercenaires,  malgré tous les moyens logistiques  énormes dont ils disposent  et malgré toute la latitude qui  leur est accordée par les maliens  pour conduire des opérations,  ils ne sont pas arrivés à inverser la tendance, une tendance  qui donne pour le moment plus de victoires aux terroristes qu’aux forces militaires maliennes épaulées par les russes.

 

Mais là n’est pas le problème. Puisqu’aucune armée au monde, ne peut réellement faire face à  une guérilla, dont les combattants sont en perpétuels déplacements et sont aptes à frapper partout quand ils veulent. Le problème c’est cette haine envers la France qui donne l’impression que les militaires qu’ils soient du Mali, du Burkina, du Niger et  de la Guinée confondent le président Français Macron en tant que dirigeant d’un pays et la France en tant que pays.

On peut donc l’affirmer, contre la France une campagne d’intoxication est  bien  menée pour interner ce pays  dans un « Lazaret politique » qui l’éloignerait des pays avec lesquels elle entretenait des relations.

Est-ce que maintenant il faut penser peut-être que cette complicité de générations qui régissait les relations  entre la France et ses anciennes  colonies  est en train de cracher du feu  comme un volcan en éruption ?

Peut-être. Peut-être, parce que  les russes, qui n’ont jamais fait bon ménage avec la démocratie  s’adaptent de plus en plus  à tous terrains où les pouvoirs  sont soit  pris par la force,  ou soit pris par la  dictature.

Ce n’est pas pour rien quand même  que les russes se sont portés volontaires pour maintenir Bechar Assad de Syrie. Ce n’est pas non plus pour rien qu’ils sont en train d’exterminer les centrafricains qui se mettent en travers de leurs chemins dans ce pays en proie à une guerre civile.

Pas étonnant cette percée russe. La Russie ne brille pas par ses avancées démocratiques et comme on le constate  s’adapte à tout environnement où la démocratie est malmenée.  En Octobre 1999, à l’époque premier ministre de Boris   Yeltsin,  Poutine,  ( en parlant de la Tchétchénie) avait dit : "On ira buter les terroristes jusque dans les chiottes». Peut-être que,  à cause de  cette phrase militairement insolente qui dit clair sur les intentions d’un homme accroc de la violence, en décembre 1999  Vladimir Poutine est devenu président de son pays.

Vingt-quatre ans après cette déclaration d’intention de Poutine, les soldats de la Légion de la honte, les « Wagner », véritables terroristes à la gâchette facile se  retrouvent donc en Afrique de l’Ouest pour « buter » la démocratie jusqu’aux chiottes des palais présidentiels de Bamako, de Ouagadougou, de Ndjamena, de Conakry  et de Niamey.

La souveraineté d’un pays ne doit pas faire oublier l’intérêt de son  peuple.

On peut décider de revoir le profil des relations politiques avec un pays. Un pays peut même s’il le veut  dénoncer ses relations avec un autre pays, s’il considère que de ses relations, il ne tire pas assez ou pas du tout d’intérêts.

Mais la rupture des relations de  ces  pays avec la France avec laquelle l’Afrique a partagé  tant d’années de collaborations et d’échanges  sous toutes les formes doit suivre des règles de respects mutuels et de bienséance diplomatique.

La remontée des citoyens du Mali, du Burkina Faso et du Niger contre la France n’est d’aucun intérêt pour ces pays. Les dirigeants de ces pays qui se sont catapultés aux Palais par les armes et les bruits de bottes, le savent bien. Et ceux qui injurient la France dans les stades le savent aussi.

La France est peut-être un pays qui devient étouffant pour certaines anciennes colonies. Son président Macron est peut-être le plus nul des présidents français qui se sont succédés, mais le peuple français était, est et  doit rester  un peuple ami des peuples africains. Ce qu’il ne faut pas quand même oublier.

Injurier  la France dans nos pays, pousser des manifestants  à bruler le drapeau de ce pays qui a allaité  nos pays  à la naissance, (même si ce lait maternel est un pillage de  nos ressources), ce n’est pas dans l’intérêt de nos pays.

Et puis après  tout et entre nous, le Mali, le Burkina, la Guinée, le Niger, le Sénégal, le Tchad et d’autres pays savent parfaitement bien qu’ils n’ont aucun intérêt à pousser la France à prendre des mesures de représailles contre eux.

Parce que, par exemple, si simplement  la France renvoyait dans ces pays  -uniquement-, les filles du Bois de Boulogne, les filles de Barbès, les éboueurs de Paris et les fumeurs de Mantes-la-Jolie, un déséquilibre économique sans précédent risque bien  de s’installer et pour de bon dans ces pays.

Et si cela devait arriver, même le Rouble russe ne pourrait pas redresser la situation. Les dirigeants en Kaki de ces  pays en sont conscients.

Mohamed Chighali

Journaliste indépendant.