Sahel, l’enracinement des groupes terroristes

mar, 11/05/2019 - 12:53

Le Sahel vit un formidable échec des forces sécuritaires face au djihadisme. Une chronique de Ahmedou Ould Abdallah, ancien ministre mauritanien et ex représentant de l’ONU en Afrique

Véhiculée par les medias internationaux et surtout les réseaux sociaux, une véritable tornade politique propage les images de populations en révolte pacifique contre leurs gouvernances.  Cette épidémie ne devrait pas laisser indifférents les sécuritaires nationaux et étrangers. ’’ La main invisible de l’étranger, jaloux de notre souveraineté’’, la vieille rengaine sans effets sur les populations, même les plus influençables, bat de l’aile. Même les citoyens ordinaires s’attendent à des réponses plus pragmatiques.

La forte médiatisation des manifestations en Algérie et au Soudan renforce le message, déjà bien articulé, des islamistes. Sans être au premier plan, ni même visibles dans ces deux pays, ceux-ci endossent néanmoins les objectifs des manifestants. Cette ‘’retenue’’, en évitant une dérive meurtrière, démontre une maturité récente. Y compris au Sahel où chaque jour ils s’enracinent davantage.

Les difficultés s’accumulent

Au Mali, en dépit du succès des opérations de Barkhane, en cet hiver 2019, les attaques armées et leurs répétitions atteignent des niveaux rappelant les débuts de la crise en 2012. La violence devient prégnante.

Violence des groupes radicaux contre les forces maliennes et internationales. Violences, encore plus graves,  opposant des communautés ethniques (chasseurs traditionnels contre éleveurs). Face à ces périls, les forces de sécurité semblent paralysées sauf lors de répressions contre les nomades du grand nord ou les pasteurs peuls.

L’extension du terrorisme au Burkina Faso, depuis longtemps annoncée, est là. Parce que plus récente, elle est plus sanguinaire. Elle déclare la guerre à l’enseignement moderne et aux enseignants mais aussi aux religions et aux communautés isolées. Les régions du Soum se dépeuplent.

 La menace, très réelle, de voir cette violence exploser dans un des pays de la côte des golfes du Benin ou de Guinée continue d’être ignorée.

Dans le Sahel oriental, la crise structurelle de la Libye – qui remonte aux années 1970 suite à la déstructuration, assumée par Kadhafi, des institutions publiques et la formation de combattants sahéliens – attise les risques pour la région et bien au-delà. La multiplicité, et donc l’incohérence des ingérences extérieures qui s’en suit, en retarde le règlement.

L’appui international ne semble pas pouvoir mettre fin à la brutalité de Boko Haram. Datant de 2012, la coopération militaire est en déficit de résultats. Il lui reste à enregistrer des progrès convaincants afin que les rives du Lac Tchad cessent d’être une zone de non droit.

In fine, la présence militaire internationale semble plutôt  aller à la gestion du statu quo. Cela ne saurait suffire.

Un terrorisme comestible

Dans des sociétés de plus en plus éclatées, voire rétribalisées, la lutte contre le terrorisme prend une nouvelle dimension. Face à des demandes sociales non satisfaites et à des oligarchies des plus arrogantes, la défiance des populations vis-à-vis des autorités centrales tend à soutenir, ou ‘’à comprendre’’,  les vues des groupes radicaux.

Dans ce contexte embrouillé les partenaires extérieurs marchent sur des œufs. Certains de leurs alliés sahéliens sont, soit de connivence tacite, ou autre, avec les groupes terroristes qu’ils combattent seulement formellement,  soit jouent aux souverainistes opposes à toute présence militaire étrangère. Aucune de deux attitudes n’est guère propice à la gestion des crises.

Très commodément, les difficultés de la région sont attribuées uniquement à l’intervention internationale de 2011 en Libye. Non aux gestions politiques nationales.

 

Mondeafrique