Centrafrique, le huitième accord de paix sera-t-il encore un marché de dupes

lun, 02/04/2019 - 09:31

Après plus d’une semaine de pourparlers, à Khartoum, la délégation du gouvernement centrafricain et les représentants de 14 groupes armés, se sont entendus pour parapher un projet d’accord de paix et de réconciliation nationale.

Ce document devrait être définitivement signé à Bangui, par toutes les parties prenantes, le mardi 5 ou le mercredi 6 février 2019. L’Accord de Bangui deviendrait alors le huitième accord de paix et de réconciliation, quasiment entre les mêmes protagonistes, depuis le début des hostilités. Faut-Il être davantage confiant dans ces nouveaux engagements, conclus sous l’égide de l’Union africaine et de l’ONU ? On peut craindre que les pourparlers de Khartoum ne seront qu’une nouvelle étape de cet interminable circuit diplomatique, financé par la communauté internationale.
Un accord mort-né, comme les précédents ?
Le document paraphé à Khartoum et signé à Bangui devrait prendre rang après ceux de Syrte (2007), Birao ( 2007), Libreville ( 2008), Libreville II (2013), Brazzaville (2014), le Forum national de Bangui (2015), Rome avec Sant’Egidio ( 2017).  A ces accords,  il faut aussi mentionner les réunions, non reconnues officiellement, de Nairobi (8/04/2014) et de Benguela en Angola (15/12/2016).
Les Centrafricains n’oublient pas qu’à la suite de chacun de ces accords, des manifestations de joie avaient salué cette promesse de paix prochaine. Les gouvernants annonçaient-ils pas « une ère nouvelle », comme vient encore de le faire le chef de la délégation gouvernementale à Khartoum. L’ONU, l’Union africaine et les partenaires de la Centrafrique avaient aussi félicité les signataires de l »accord pour leur sens aigu de l’intérêt national. 
En février 2019, les mêmes communiqués onusiens, de l’Union africaine et de certains partenaires ne manqueront pas. En revanche, tellement échaudés, les Centrafricains, en dehors des « patriotes  » touadériens, resteront circonspects. On ne peut pas leur donner tort.
Comme Mondafrique l’avait annoncé, il était hautement improbable qu’il n’y ait pas eu d’accord de principe à Khartoum. Les organisateurs, le gouvernement centrafricain, les chefs de 14 groupes armés, l’Union africaine, l’ONU et la Russie avaient beaucoup à perdre sans un accord sur un document diplomatique, favorisant de nombreuses interprétations et préservant ainsi les intérêts fondamentaux de chacun.   
Les mêmes causes produisent les mêmes effets
Les principales causes des différents échecs successifs sont toujours présentes. On peut les citer :
– la recherche de l’intérêt général, la volonté politique de sauver l’unité nationale, le renoncement à la captation des richesses et ressources du pays sont absents aussi bien du côté des gouvernants que des groupes armés.
– les deux parties en présence n’ont jamais eu la capacité d’aboutir à un accord durable. Depuis l’Accord de Syrte en 2007, tous les gouvernements des chefs d’État successifs – sauf entre janvier et mars 2013 après l’Accord de Libreville- ont été constitués sur des bases essentiellement ethniques et clientèlistes. Quant aux groupes armés, aux motivations souvent antagonistes, ils sont tellement nombreux et concurrents qu’une plateforme commune est éphémère sinon totalement impossible.
– Quoiqu’en disent le FMI, la Banque Mondiale, l’ONU, l’Union africaine et les principaux.bailleurs, l’État centrafricain ne contrôle plus grand chose sur ce territoire un peu plus grand que la France métropolitaine et la Belgique ou la péninsule ibérique. Comment imposer un accord de paix alors que les trois quarts du pays lui échappe ? Devant cette situation qui perdure, les groupes armés se constituent des fiefs quasiment inexpugnables. Ils « administrent » selon leurs coutumes, leur langue et exploitent les terres et les hommes. Comment obtenir une unanimité durable chez ces hors-la-loi pour établir la paix ?  
– la prospective est absente aussi bien au niveau des gouvernants que des groupes armés. « Demain est un autre jour ». Il leur faut s’enrichir le plus rapidement possible car les gouvernants savent que leur passage à la  » mangeoire  » sera court et les hors-la-loi n’ignorent pas que leur vie de guerrier est pleine d’embûches.
– alors que le personnel politique centrafricain et que les seigneurs de la guerre occupent la scène depuis de nombreuses années, leurs interlocuteurs onusiens et les diplomates étrangers connaissent un important turn over qui favorise les mêmes erreurs d’appréciation et permet de « remettre le couvert » tous les ans pour des « négociations de la dernière chance ». Les acteurs Centrafricains maîtrisent mieux le scénario de ces accords éphémères que les diplomates de passage.
Ce nouvel Accord de paix et de réconciliation nationale est une carte importante pour le président Touadera et ses proches dans le processus de sa très probable réélection en 2021. Il est  paradoxalement aussi, un motif supplémentaire pour un assouplissement de l’embargo sur les armes. Les chefs des groupes armés apprécieront, d’autant que les sanctions internationales, qui pèsent sur eux, seront maintenues, même si les termes utilisés dans l’accord paraphé à Khartoum leur semblent favorables. Il faut relire les précédents accords de paix pour se convaincre d’une part, que l’amnistie et la participation à un gouvernement d’union nationale rencontreront toujours des obstacles et d’autre part, que le relèvement de l’État et sa réappropriation du territoire national seront très difficiles pour des gouvernements engagés dans la mauvaise gouvernance.

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