Maroc : Le risque terroriste après la mort de deux touristes

sam, 12/22/2018 - 09:42

Ce lundi 17 décembre, les habitants du village d’Imlil, dans la région de Marrakech, croient encore à un drame isolé. 

La police vient de découvrir les corps de deux jeunes randonneuses scandinaves, des traces de violence à l’arme blanche sur leur cou, dans un site isolé du massif du Haut Atlas. Louisa Vesterager Jespersen, une étudiante danoise de 24 ans, et Maren Ueland, une Norvégienne de 28 ans, étaient parties pour un mois de vacances au Maroc. 

Les deux amies avaient planté leur tente dans cette région montagneuse, à dix kilomètres d’Imlil, un petit village réputé pour être le dernier arrêt avant l’ascension du mont Toubkal, le plus haut sommet d’Afrique du Nord.

Alors qu’un acte criminel est d’abord évoqué par les autorités, la diffusion de deux vidéos sur les réseaux sociaux oriente désormais vers la piste terroriste, redoutée par le Maroc, qui a été épargné par les attaques djihadistes depuis 2011.

« C’est un acte criminel terroriste inadmissible qui ne correspond pas aux valeurs des Marocains ni de la région où il a eu lieu », a déclaré jeudi le porte-parole du gouvernement, Mustapha Khalfi.

Parmi les quatre suspects arrêtés, l’un d’eux appartient à un groupe terroriste radical, selon les services de sécurité.

Allégeance à Abou Bakr Al-Baghdadi

Une vidéo d’allégeance à l’organisation Etat islamique (EI) partagée mercredi sur Twitter et Telegram, que Le Monde a pu visionner, met en scène un groupe de quatre personnes, filmées dans une pièce sombre avec un drapeau de l’EI confectionné à la main accroché à un mur.

Trois d’entre eux correspondent aux images des suspects arrêtés par la police publiées dans la presse. L’un d’eux affirme que la cellule a répondu aux appels de l’« émir des croyants, Abou Bakr Al-Baghdadi », le chef de l’EI, et en « soutien à nos frères de par le monde, et particulièrement nos frères de Hajin [ville détruite] par l’aviation croisée ».

Dernier centre de commandement urbain de l’EI en Syrie, cette cité a été reprise par les Forces démocratiques syriennes (FDS), mi-décembre. Les quatre hommes prêtent ensuite allégeance à Abou Bakr Al-Baghdadi. Selon le procureur général du roi, ils se sont filmés la semaine passée.

Film extrêmement brutal

Les services de renseignement danois ont indiqué analyser une première vidéo relayée mercredi soir, sans être « en mesure de faire d’autres commentaires sur son authenticité », ont-ils précisé, jeudi, dans un communiqué. Ce film, extrêmement brutal, qu’a également pu consulter Le Monde, montre l’assassinat de l’une des deux touristes, égorgée vivante. L’un de ses bourreaux prononce alors une unique phrase : « Pour les frères de Hajin. »

Ce double meurtre a secoué les services de sécurité. Après les attaques terroristes à Casablanca en 2003 (33 morts) et à Marrakech en 2011 (17 morts), le Maroc, également important pourvoyeur de djihadistes en Irak et en Syrie, a fait de la lutte antiterroriste une priorité.

En plus de renforcer son dispositif sécuritaire et son arsenal législatif, via le Bureau central des investigations judiciaires (BCIJ) créé en 2015, le royaume a verrouillé l’encadrement du champ religieux à travers le puissant ministère des habous (affaires religieuses) qui contrôle les lieux de culte, ainsi que la création d’un Conseil supérieur des oulémas.

« Un coup dans le dos du Maroc »

Depuis, les autorités marocaines communiquent régulièrement sur les moyens déployés et se félicitent d’avoir démantelé plus de 50 cellules terroristes, dont la moitié était liée à l’EI. Le meurtre des touristes scandinaves est « un coup dans le dos du Maroc et des Marocains », a condamné, jeudi, le premier ministre Saad-Eddine Al-Othmani.

C’est aussi un coup dur pour le tourisme, un secteur-clé de l’économie – 10 % de la richesse du pays et deuxième employeur après l’agriculture. Après plusieurs années de quasi-stagnation, le Maroc a enregistré, en 2017, un nombre record de visiteurs avec 11,35 millions de touristes, profitant de son image de pays sûr dans la région.

Madjid Zerrouky et Ghalia Kadiri 

 

Le Monde Afrique