Le Conseil d’Emmanuel Macron pour l’Afrique ou le règne du flou

jeu, 09/21/2017 - 22:51

Les onze membres du “Conseil Présidentiel pour l’Afrique” (CPA), la plupart entrepreneurs, croient au salut de l’Afrique par l’économie. 

« Les téléphones sont interdits ici ! », prévient, à voix basse, Jules-Armand Aniambossou. Le Cercle de l’Union Interallié, rue du Faubourg Saint-Honoré, où le coordinateur du CPA, vêtu d’un costume trois pièces, reçoit Mondafrique sous des lustres clinquants, ne badine pas avec la tranquillité de ses membres. Ironie du sort, cette bâtisse colossale était l’hôtel particulier d’Henri de Rothschild, édifié en 1714. Tout un symbole pour parler du conseil africain de l’ancien banquier de cette vénérable banque d’affaires qu’est Emmanuel Macron. Du neuf avec de l’ancien? Le cercle Interallié reste un surprenant lieu de rendez vous pour ce franco-béninois, ancien énarque de la promotion du chef de l’Etat, sensé incarner l’élan de modernité impulsé par le président sur les dossiers africains.

La rupture par “l’entrepreunariat”

La tornade Macron, qui a vu disparaitre sans fleurs ni couronnes le ministère de la coopération, refuge des vieux crabes de la Françafrique, n’épargne pas la diplomatie africaine. Adieu les « vieux véreux corrompus », proclame d’emblée notre coordinateur. Et cet ancien ambassadeur du Bénin à Paris de poursuivre:« Qu’est-ce que la Françafrique a apporté aux Africains et aux Français ? Rien ».

Jeunes, dynamiques et souriants, les conseillers “Afrique”, tous bénévoles, sont à l’image de Frank Paris, diplomate de 39 ans, devenu le Monsieur Afrique du président, en rupture avec le passé et résolument tournés vers le monde économique. Hébergé par l’Agence Française de Développement (AFD), « ces esprit neufs » apporteront leur éclairage sur le continent. C’est aussi l’occasion de reprendre la main sur les juteux contrats africains. « Quand on voit les Chinois arriver avec leurs paquebots et leurs infrastructures pourries…», peste l’ancien ambassadeur du Bénin devant son café crème. Jean-Marc Adjovi-Boco, l’un des onze bénévoles, évoque le rôle économique de la jeune institution. « Pour le président, la question de l’entrepreneuriat semble primordiale pour le développement de l’Afrique. » 

Zinsou es-tu là ?

Mais qui tient vraiment les ficelles de ce conseil pétri de bonnes intentions ? L’ombre de Lionel Zinsou plane derrière le CPA. L’ancien Premier ministre du Bénin est l’un des conseillers du président qu’il a rencontré chez Rothschild. « Lionel Zinsou n’a rien à voir avec tout ça, laissez-le tranquille, en plus c’est quelqu’un que j’aime beaucoup. Ce conseil est l’idée du président Emmanuel Macron », s’agace Jules -Armand Aniambossou. Mais quelques minutes plus tard, l’ancien ambassadeur du Bénin parle d’une idée partagée avec d’autres conseillers, dont Lionel Zinsou.

« Lionel ne connaissait même pas les noms des conseillers», se défend Jules-Armand Aniambossou. Pourtant, la scientifique d’origine kenyane, Yvonne Mburu, a participé au programme Young Leaders organisé par la fondation AfricaFrance, dirigé par Lionel Zinsou. « Oui, il y a deux ou trois noms de Leaders mais bon.. Ce qu’il faut retenir c’est que c’est le président qui a fixé les critères. » Diane Binder, directrice adjointe du développement international du groupe Suez et membre du conseil est moins catégorique : « Lionel Zinsou s’investit sur ces question là, après je ne connais pas son implication dans le cadre du CPA. » 

Plus surprenant, les conseillers, Jean-Marc Adjovi-Boco et Yves-Justice Djimi connaissent bien Lionel Zinsou. Quand le premier est chargé de la filière sport d’AfricaFrance, le dernier copréside le pôle Afrique du Sud de la fondation. De plus, Jérémy Hajdenberg, 43 ans, est directeur général adjoint investissement de la société Investisseurs & Partenaires. Une société de gestion, membre de la fondation… AfricaFrance. « Pourquoi faire une fixette sur Monsieur Zinsou ? » Parce que tous les facteurs convergent vers lui.

Cacophonie générale

Au vu des profils, le Conseil présidentiel pour l’Afrique ressemble davantage au conseil d’administration d’une entreprise. Alors comment éviter les conflits d’intérêts ? « Les dispositions sont très claires, le Conseil présidentiel pour l’Afrique n’est pas un tremplin pour en tirer un avantage pécuniaire. Oui il y a des entrepreneurs mais il faut bien que ces gens vivent de quelque chose ! » proteste le directeur général de la section Afrique du groupe Duval. «  Nous avons travaillé sur une charte de déontologie, qui sera rendue publique d’ailleurs. »

Pour l’instant, aucun des onze membres interrogés ne peut formuler une proposition claire. Quid de l’humanitaire ou de la question des droits de l’homme ? C’est la cacophonie : «  On ne fait pas de politique, c’est un sujet que je connais très mal. Le CPA n’a pas de rôle diplomatique », affirme l’un des conseillers. Pourtant, Jules-Armand Aniambossou n’exclue pas de se pencher sur les événements de nature politique au Togo ou ailleurs. La seule priorité sur laquelle tous s’accordent est l’aide qu’il souhaitent apporter à « l’écriture du discours du président à Ouagadougou en novembre ».

Dans l’euphorie des débuts, tous veulent croire à la pérennité de l’initiative élyséenne qui devrait être formalisée par un décret. « C’est pour la France et non pour lui même que le Président a créé le Conseil présidentiel pour l’Afrique», veut croire Jules-Armand Aniambossou. Et d’ajouter:  « Nous voulons réenchanter l’Afrique ».

Pas sûr que onze bénévoles, enthousiastes et volontaires, suffisent à cette vaste ambition..

ENCADRE,

L’ELYSEE REFLECHIT A D’AUTRES PROJETS POUR L’AFRIQUE

Dans l’entourage proche d’Emmanuel Macron, on réfléchit à la création d’un autre organisme que le conseil présidentiel. A savoir une équipe qui serait vouée, de façon très réactive et opérationnelle, à lancer des projets de développement, sous la possible autorité de…Lionel Zinsou. « Nous devons encore trouver les financements nécessaires, ce qui n’est pas facile en période d’austérité budgétaire”, confie un visiteur du soir élyséen.  En effet lors du dernier tout de vis budgétaire, l’AFD elle même  déjà subi une sévère réduction de sa capacité de  “dons”. La dotation est passée de 420 millions d’euros à 280 millions.

Des économies qui pourraient constituer, demain, des marges de manoeuvre au nouveau projet de l’Elysée?

 Mondafrique