Journée Internationale pour l’abolition de l’esclavage, les abolitionnistes mauritaniens insatisfaits des réalisations de l’Etat

sam, 12/03/2022 - 03:53

La journée internationale du 2 décembre 2022 pour l’abolition de l’esclavage a été célébrée en Mauritanie par les deux plus grandes organisations abolitionnistes du pays, l’Initiative de Résurgence du mouvement Abolitionniste (IRA) et SOS-Esclaves. Toutes les deux ont mis en exergue les timides actions menées par l’Etat pour mettre fin à la servitude par naissance, mais ont fustigé les nombreux obstacles institutionnels et judiciaires qui empêchent encore d’atteindre l’objectif Zéro esclavage en Mauritanie.

« L’esclavage n’est pas seulement un vestige du passé, mais une réalité tristement actuelle. Selon l’Organisation Internationale du Travail (OIT), il y a actuellement plus de 40 millions de victimes du travail forcé dans le monde » selon le magazine « 9 lives ». https://www.9lives-magazine.com/90512/2022/12/02/2-decembre-journee-internationale-pour-labolition-de-lesclavage-2/

Si les statistiques au niveau international sont exhaustifs par rapport à l’esclavage moderne, mot générique qui englobe le travail forcé, la servitude pour dettes, le mariage forcé et la traite des êtres humains, il n’existe aucune statistique quant à l’esclavage par ascendance, forme la plus répandue en Mauritanie. Cette absence de données sur cette pratique, souvent cachée et diffuse, rend la lutte ponctuelle et au cas par cas au gré des découvertes.

SOS Esclave critique et salue sa collaboration avec l’Etat

Se prononçant à l’occasion de la célébration de la journée, SOS Esclaves dans une déclaration publiée à cet effet souligne que « malgré des avancées législatives dès 2005, année de la levée de son interdiction, l’organisation non-gouvernementale continue à déplorer, entres autres obstacles, le faible niveau d’application des lois, le déficit de prise en charge psychologique des victimes et l’absence d’un fonds d’indemnisation, à la gestion duquel devraient participer les contributeurs étrangers ». Et de suggérer l’alimentation d’un tel dispositif par les recettes tirées des mines, des hydrocarbures et des deux ports internationaux du pays.

https://www.chezvlane.com/%E2%80%8B2-decembre-Journee-internationale-pour-l-abolition-de-l-esclavage_a29071.html

L’organisation déclare poursuivre ses efforts pour « obtenir davantage d’inclusion en matière d’éducation de qualité et de santé rurale, d’enrôlement à l’état-civil et de facilité d’accès aux services universels de base », notamment chez les populations issues de couches serviles.

Selon SOS Esclaves « les disparités de revenu héritées du passées et la prédominance du travail indécent se reproduisent toujours, au détriment de la même catégorie de la population, un peu comme une malédiction, sans cesse léguée et renouvelée ».

Prônant son attachement au devoir d’ingérence et à l’universalisme, SOS Esclaves indique qu’ils constituent « les meilleurs alliés des justes, quand la relativité culturelle, l’aveuglement…du pouvoir se dressent en travers du noble désir de justice ». Il s’est toutefois réjoui de la collaboration qu’elle entretient avec les instances de l’Etat chargées des droits de l’homme, tout en déplorant l’inertie du Mécanisme national de prévention de la torture (MNP).

L’acerbe diatribe d’IRA

Suite à la célébration, en grande pompe, de la Journée internationale pour l’abolition de l’esclavage, le leader du mouvement IRA, le député Birame Dah Abeid, a dressé un véritable réquisitoire contre l’Etat mauritanien dans la succession de ses pouvoirs. https://rapideinfo.mr/2-decembre-2022-journee-internationale-pour-labolition-de-lesclavage/

Il estime que malgré l’abolition tardive de l’esclavage en 1891 et sa criminalisation en 2007 puis en 2015, les militants abolitionnistes continuent d’être persécutés, en dépit de progrès remarquables dans le domaine de la loi. Selon lui « la réalité reste empreinte de déni et d’indifférence des pouvoirs publics, au sort des victimes, d’où l’obligation pour elles de savoir se défendre, par leurs moyens modestes, sans le secours d’un Etat voué, in fine, à reproduire les inégalités de naissance, au travers d’un appareil de sécurité et de justice, très peu réceptif à la valeur d’égalité ».

Pour Birame, « la Mauritanie de 2022, sous l’égide du Président Mohamed Ould Cheikh Ghazouani, refuse toujours de satisfaire aux recommandations des rapporteurs spéciaux des Nations-Unies sur les formes contemporaines d’esclavage, notamment le recensement des victimes immédiates ou périphériques ». Il en veut surtout à l’élite réactionnaire au pouvoir depuis 1978, qui poursuit selon lui, « sa guerre larvée contre les militants de l’équité, comme en attestent la fréquence des arrestations, la torture et l’exclusion statutaire, à tous les échelons de l’économie et de l’administration publique ». Il met ainsi dos à dos les pratiques esclavagistes et l’extrémisme religieux dans leur mode de justification de leurs actions au motif religieux.

« Les deux impostures participent du même mépris envers les autochtones d’ascendance subsaharienne, à cette nuance près que la mentalité et la pratique de l’exclusion de caste n’épargne aucune composante du peuplement actuel de la Mauritanie » argumente-t-il, citant l’existence de ces pratiques dans toutes les communautés, Pulaar, Wolof, Soninkés et Maures.

Ces communautés serviles se heurtent, selon lui, au tamis discriminatoire de l’état-civil, au défaut d’accès à la propriété des terres de culture, au poids de la misère et de la déscolarisation massive. Et de préciser que « les Hratin, descendants d’esclaves, en sont réduits, sur le sol de leurs ancêtres, à servir de force d’appoint au système séculaire qui les subjugue ».  Il décrit une population sans alternative, soumise à des normes séculaires, qui s’impatiente enfin et qui risque de finir par se révolter, rompant le lien moral qui les entrave. « Ce moment-là, le temps de la rupture morale, nous le souhaitons, l’attendons et nous y préparons, armés de nos idées et de notre ancrage viscéral dans la non-violence. Ni les intimidations ni l’exclusion matérielle, encore moins l’interdiction des partis de la renaissance africaine – à l’image de Radical pour une action globale (RAG) – ne parviendront à différer le jour de la grande explication » assène-t-il.

En conclusion, Birame Dah indique que son mouvement reste attaché « au dialogue, mais tout en étant persuadé que la conquête des droits humains relève, d’abord, de la lutte et de sa constance ».

La justice, source de pérennisation des violations des droits de l’homme ?

Les magistrats mauritaniens ont toujours été pris à partie dans beaucoup de dossiers où des plaignants ont trouvé que le droit n’a pas été dit, notamment des dossiers liés aux droits de l’homme et en particulier à l’esclavage. C’est le cas, entre autres dossiers, de l’affaire Ghaya Maïga, une jeune fille soumise à l’esclavage, selon la thèse soutenue par le mouvement IRA, et dont le dossier a été classé par un magistrat. Lors d’une conférence convoquée à l’issue de cette affaire, le président d’IRA, Birame Dah Abeid, avait requis auprès du ministère de la Justice à l’époque, la sanction contre le magistrat en question. https://web.facebook.com/groups/317340672320480/permalink/460486144672598/?_rdc=1&_rdr

« J’appelle les mauritaniens à être vigilants face au groupe de magistrat qui perpétue l’esclavage, l’injustice, la captation d’héritage des femmes. L’état ne veut pas nous soutenir pour mener la guerre contre les magistrats injustes, l’état doit enclencher les lois qui sanctionnent les juges qui refusent de les appliquer » avait-il déclaré, suscitant ainsi l’ire du club des magistrats.

Aujourd’hui, c’est une voix autorisée au sein de l’Exécutif, la Commission nationale des droits de l’homme (CNDH), organe consultatif de l’Etat, qui est mise sur la sellette par les magistrats. Motif, le Rapport annuel 2021-2022, remis par son président, Ahmed Salem Ould Bouhoubeïny au Président de la République, Mohamed Cheikh Ghazouani. Un rapport jugé de critique à l’égard de la justice, puisqu’il soulève des dysfonctionnements préjudiciables aux droits de l’homme, dus au défaut de formation des magistrats. Cet état de fait est d’autant plus nuisible pour l’appareil judiciaire, selon le rapport « qu’on note aujourd’hui la présence aux commandes de tribunaux en divers domaines commerciaux, pénaux et civils, de magistrats sans aucune qualification ou formation de base » selon notre confrère « La Dépêche » https://ladepeche.mr/?p=3054

Cet état de fait justifie le lancement en février 2022 du Programme d’Appui à la Réforme de la Justice (PARJ) financé par l’Union européenne sous le 11ème FED. https://ami.mr/fr/Depeche-62730.html/

Cheikh Aïdara