POINT DE MIRE : SNIM. Les primes de la honte.

dim, 01/09/2022 - 21:26

La SNIM, Société Industrielle et Minière de Mauritanie a « sabré » la nuit de la Saint Sylvestre le thé à la menthe   en offrant un bonus exceptionnel de 300 % à ses employés. Ils sont   5030  rattachés par cordon ombilical directement à la société mère qui compte 10.000 employés répartis sur les différentes branches affiliées. Sur les 5030 travailleurs qui émargent sur des bulletins de salaires,  93 % sont des agents  et 7 % des cadres.

 

La prime décidée avant l’entrée dans le nouvel an  chevauche sur une précédente augmentation accordée à ces mêmes employés en avril 2021 et des avantages distribués à la main active de la société par Ould Diaye, ancien ADG, ancien ministre des finances qui, malheureusement,  avait été freiné dans son élan de redressement de la société par sa citation dans le dossier dit de la « décennie ».

 

C’était surement  et on peut le comprendre, la fête dans la petite cité minière  enveloppée dans  la poussière du concasseur géant qui broie sans discontinuer notre fer dont la réserve de bonne teneur prouvée est estimée à plusieurs centaines de millions de tonnes.

 

La SNIM est la voute centrale   qui tient en équilibre constant l’économie de notre  pays dont 90 % des habitants vivent sous le palier le plus bas du seuil de la pauvreté. Depuis les années 50, Zoueirat, la capitale du Tiris Zemmour  respire le fer.

 

La SNIM, histoire de comprendre.

 

La SNIM c’est une longue histoire. L’histoire d’un mariage entre des employés jamais satisfaits et une société qui a connu par le passé de grands succès, une bonne performance, ne bonne gestion grâce à la bonne gouvernance  des premiers pionniers de son administration : Ismail Ould Amar, Mohamed Saleck Ould Heyine, Ahmedou Ould Abdallah, Ely Ould Allaf et Baba Ould Sidi Abdallah.

 

Depuis le 29 mai 1968,  date à laquelle un certain Soumeyda est mort tombé sous les balles de l’armée mauritanienne qui repoussait une marche pacifique des travailleurs  afin de protéger les expatriés français, la SNIM  joue au « cache-cash »   avec ses employés.

 

La SNIM c’est aussi la belle histoire de la mine de fer,  notre fierté nationale qui se « grille » sous une chaleur de plomb sur un site archéologique jadis rattaché par la préhistoire à des grands glaciers refuge des dinosaures dont les vestiges dorment ensevelis sous des nappes souterraines d’eaux abondantes et  intarissables de Limhowdatt.

 

La SNIM c’est également une très belle histoire de chiffres. La mauritanienne du fer, possède un train minéralier long de 2.500 mètres  pouvant être tracté par 2,  3 et même 4 locomotives,  dont certaines sont capables de développer  jusqu’à 4.500 CV de puissance.

 

Ce train mythique dit « Dudésert »  est le plus long du monde. Il tire haletant inlassablement  tous les jours 250 wagons remplis  chacun de 100 tonnes de minerai  sur une distance de 704 km de  trajet.

Fierté de notre pays il avait été mis en service en  1963, et il est le seul train minéralier au monde dont   l’exploitation, la maintenance et la fabrication de certaines pièces de rechanges sont assurées par des nationaux pour toute la chaine d’exploitation.

 

Le train est habituellement tracté par deux locomotives. Une locomotive type SD 70 ACS du Constructeur  EMD qui peut développer jusqu’à une puissance de  4.500 chevaux. Cette locomotive est couramment jumelée à une autre du même fabriquant et d’une puissance de plus de 3.800 CV.

Les deux locomotives développent simultanément en en synchronisation 8.300 CV de puissance pour tracter les 250  wagons  qui transportent inlassablement le précieux métal de Zoueirat au port minéralier situé à la pointe sud de  Nouadhibou la capitale économique.

 

Quand le prix du fer augmente, la gabegie le surplombe.

 

Le prix du fer est passé de 50 dollars en 1974 à 200 dollars en 2010. Ce métal a simplement tiré profit des effets du « supercycle ». Le fer bat depuis les années 2010 le record de toutes les hausses des prix des matières premières sur le marché mondial. Ce prix a été multiplié par cinq en six ans,  soit environ par sept depuis trente ans.

 

Après une chute désastreuse sous la barre des 50 dollars l’année noire (2016), ce prix a rebondi pour se stabiliser sur la barre de 200 dollars pratiquement depuis juin 2021. Même si le prix de ce métal a varié en dents de scies de 2010 à nos jours, si l’on prend en compte par exemple une moyenne de 150 dollars la tonne cela signifie que chaque rotation d’un train minéralier de Zoueirat à Nouadhibou rapporte à la société 3 millions 750.000 euros. Ce qui signifie 7 millions 500.000 euros pour les rotations quotidiennes des deux trains de la société.

 

Mais malheureusement,   si la SNIM,  a été  une   grande histoire de performances sous Ismail Ould Amar, Ahmedou Ould Abdallah, Ely Ould Allaf, Baba Ould Sidi Abdallah, Mohamed Saleck Ould Heyine, ces pionniers de la bonne gestion qui sont passés par là et qui ont contribués à « monter » pièce par pièce cette lourde machine arrachée à la surprise générale au colon  le 28 novembre 1974 par le père de la nation,  cette société a connue  aussi beaucoup de bas  depuis 2010.

 

L’honnêteté, la compétence et la bonne gouvernance de Youssouf Ould Abdel Jelil (2005-2006) Mohamed Ali Ould Sidi Mohamed (2006-2008), Ousmane Kane (2008-2009), Taleb Ould Abdi Vall (2009-2011),  n’ont pas vraiment pu empêcher la culture d’une politique de gabegie  sans précédent au sein de la Société. Une culture qui a prostitué l’image de marque du symbole de la Souveraineté nationale légué par le père de l’indépendance, feu Me Moctar Ould Daddah, qui voyait dans la vente de notre fer notre auto indépendance économique.

 

Des contreperformances enregistrées comme succès.

 

Depuis une semaine, le sujet domine l’actualité après l’hospitalisation d’urgence de l’ancien président au CNC, et la contamination du président actuel par la COVID-19 sous son nouveau variant. « La SNIM a franchi le palier de 12.000.000 de tonnes ». Bonne nouvelle, très bonne nouvelle qui fait la une des journaux. Evènement qui doit  s’arroser  au thé à la menthe ou au lait de chamelle de Gleib Ejrad ou Gleib N’Dour.

 

Mais l’ADG de la SNIM,  M. Mohamed Vall Ould Tleimidi a trouvé mieux. Il a décidé d’arroser ses employés en leur octroyant des bonus sous formes de salaires supplémentaires  en guise d’encouragement  et de félicitations  pour l’effort consenti qui a propulsé la production de l’année 2021 à  12.700.000 tonnes,  soit  200.000 tonnes  de plus que la production de 2020.

 

Si nous prenons la peine de faire quelques calculs élémentaires, juste question de passer le temps en cette période de confinement obligatoire, la SNIM  donc selon les données chiffrées des services d’exploitation, a envoyé  sur les tankers minéraliers chinois, japonais et autres,  entre  janvier  2020 et fin 2021, 25 millions 200.000 tonnes de fer. Ce qui nous donne par multiplication élémentaire  au cout  moyen du cours du fer, donc une  recette de 5 milliards 40.000.000 d’euros.

 

Normal que l’actuel ADG arrivé à la tête du géant  minier en février 2021 se frotte les mains et pour lui et pour Ould Diaye aussi qui,  quand même il  faut le reconnaitre avait  mis en place et organisé l’ordre de bataille de la « surproduction » de septembre 2019 à février 2021, date durant laquelle il était « réfugié » à Zouerate  pensant pouvoir « échapper » aux limiers de  la police des crimes économiques et financiers.

 

Performances spectaculaires dans les objectifs fixés ?

 

Curieusement, le chiffre de l’objectif atteint cette fin d’année par la SNIM (12.000.000 de tonnes), on le retrouve quelque part dans les annales de l’histoire de la SNIM.  Ce chiffre qui bat des records  a été  obtenu à la sueur des fronts d’ouvriers et d’agents de maitrises très pauvres  qui vivent en louant leurs logements de service, ou en faisant des recettes du lait de chèvres « goueiras » en libres divagations dans les ruelles étroites d’une cité où des femmes venues d’autres régions, poussées par la misère vivent du commerce de leur corps.

 

Dans un numéro paru en janvier 1975, le Monde Diplomatique,  journal français de référence, sous la plume de Vincent de Burtel  écrivait à cette date,   que la « MIFERMA avait expédié en direction des puissances européennes et du japon plus 80 millions de tonnes du minerai de haute teneur provenant de la Kédjia D’Idjil ».

 

Et tenez-vous bien, le journaliste précisait que le rythme d’expédition à cette date (1975) se chiffrait à 12.000.000 de tonnes par an.  47 ans après cette année 1975 là, la SNIM  se vante d’avoir enregistré un record en atteignant la barre de 12.700.000 de tonnes. Et pour « sabrer » la poussière avalée par les pauvres ouvriers de la main d’œuvre active, elle distribue un bonus de 330 % à ses employés.

 

Si déjà en 1975, comme le notait le crédible journaliste du Monde diplomatique Vincent de Burtel, la MIFERMA avait à l’époque enregistré un rythme d’expédition de 12.000.000 de tonnes par an, je suis surpris de lire,   50 années plus tard sur le site CRIDEM, que l’actuel Administrateur Directeur Général  de la SNIM  applaudit à ses employés pour avoir atteint un rythme d’expédition de 12.700.000 de tonnes par an.

 

Ce qui signifie  donc que la SNIM, qui avait lancé en mai 2020 un appel d’offre pour la réhabilitation et la modernisation de sa principale usine de traitement de minerai de fer pour son projet Guelb1, et qui avait renforcé considérablement son parc de train, ses capacités d’exploitations et la modernisation de ses techniques d’exploitation patine depuis 47 ans. Et, n’a réalisé donc comme exploit depuis le renversement du régime de Ould Daddah que 700.000 tonnes de plus soit 14.000 tonnes par an depuis 1975.

 

Ou peut-être que les  performances qu’elle enregistre sont plutôt des  performances dans la mauvaise gestion et la gabegie. Ce qui n’est pas exclu,  si l’on constate  par exemple qu’entre le 1er janvier 2020 et le 17 avril 2020, en 107 jours, la SNIM a écoulé 3,37 millions de tonnes, vendus dans une conjoncture de COVID-19 à 89,95 dollars la tonne. Ce qui signifie concrètement que cette société a encaissé à cette date, en 3 mois  et 15 jours 303.300.000 dollars soit 109.000.000.000 d’ouguiyas.

 

 Quand la SNIM patine depuis le départ d’Ismail Ould Amar.                                      

 

Il est vrai qu’au cours de sa décennie au pouvoir et  particulièrement entre février 2011 et août 2019, l’ancien président Ould Abdel Aziz avait tout  simplement injecté dans les veines de la société un « paralysant » qui avait handicapé les performances de la mine. La gestion  hasardeuse de la SNIM (grande manne financière) et les détournements multiformes et kamikazes entre novembre 2018 et août 2019 (sous Hassena Ould Ely) ont saigné à mort la Société Nationale.

 

Mais l’objectif de 12.700.000 tonnes atteint n’est pas un exploit. C’est un retour aux performances perdues depuis que l’ingénieur Ismail Ould Amar et l’conomiste Ahmdou Ould Abdallah ont quittés la tête de cette société mère de l’industrie nationale.

 

Charité bien ordonnée commence par soi-même.                    

 

La question qu’on pourrait se poser c’est de savoir pourquoi ces 300 % aux uns et aux autres des 5.030 travailleurs ? Une explication rationnelle peut être. Parce que les 7 % des employés cadres de la Société qui bénéficient de cet « arrosage » financier vont à eux seuls,  grâce à cette augmentation divine, débiter leurs comptes  bancaires de 220 %  sur les 300 % de la masse globale de l’augmentation.

 

C’est comme cela la vie dans les sociétés extractives. Les autres, les petits (les ouvriers) avalent la poussière soulevée par les explosions de la mine et crachent du sang à la retraite, les autres (les cadres) pour une grippe passagère à cause des climatiseurs de leurs bureaux qui ronflent 24/24 sans arrêt, se font soigner dans des hôpitaux de référence en Espagne, en France ou en Türkye.

 

Pendant ce temps, comme l’a dit mon ami Sy Mamadou sur sa page Facebook, les enfants des « Adwabaas » suivent les cours assis à même le sol sur des morceaux de carton ou des sacs d’emballages. Le prix des tables-bancs de  leurs écoles ont été injectés  dans l’embellie d’un ranch situé à quelques kilomètres de Nouakchott ou  la construction de centres commerciaux de grandes surfaces dans le quartier huppé de Tevragh Zeina.

 

Le SNIM, c’est donc aussi, en plus de 12.000.000 de tonnes, 12.000.000 d’actes de détournements, de vols en bandes organisées et de distributions inéquitables de nos ressources. La prime des employés de la grande prisée, la  SNIM, c’est peut être aussi donc la prime de la honte.

 

Mohamed Chighali

Journaliste indépendant

 

 

 

 

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