Ils évaluent les deux premières années du quinquennat Ghazwani

jeu, 08/12/2021 - 14:23

 « En termes de rupture avec le prédécesseur dans l’attitude : de la courtoisie, un faciès avenant qui suscite tout de suite un élan de sympathie, un sourire ravageur qui rassure les voisins, du tact et de la ruse pour dissimuler ses traces et tenir l’Opposition en laisse, voilà pour les atouts...

S’y ajoutent hésitations et tergiversations, ce laisser-aller fou, partout installé, des yeux qui parlent et fuient, et cette tendance surprenante à vouloir plaire à tout le monde…

En termes de continuité avec le Général sortant : corruption et népotisme plus présents que jamais, même volonté de préservation du Système, consolidé, même négation de la diversité que nourrit une idéologie d’assimilation des cultures non-arabes et de race née pour gouverner seule…

En termes de réalisations proprement dites : quelques gestes de charité en direction des couches vulnérables, quelques sous pour amadouer les enseignants, des projets, des promesses, des intentions généreuses… mais rien que des intentions. En termes de feeling des populations de ces deux ans de gouvernance Ghazwani : une immense déception, so far… »

Mohamed Bouya Ould Cheikh Mohamed Fadel, député

« L’évaluation du système Ghazwani en deux ans se réfère à un adjectif bénin unique : la neutralisation de son prédécesseur de la sphère politique.

C’était une menace pour le système démocratique mais cela renvoie également à plusieurs aspects négatifs combinés par le retour de la gabegie horizontale dans toutes les articulations de l'État, auparavant liée verticalement à son prédécesseur et à son entourage. »

Khalilou Ould Dedde, député UFP

« J'évalue son solde partant de son point de départ. Il a pris le pouvoir dans des conditions difficiles : bilan catastrophique de la décennie Aziz, coronavirus...À son actif : décrispation de la scène politique, CEP et quelques réformettes sociales.

À son passif, maintien des pratiques du système qui l'a précédé et qui l'a produit, notamment le recyclage des agents de la mauvaise gouvernance, les discriminations et le clientélisme...Il reste cependant une source d'espoir, surtout s'il réussit à organiser un dialogue inclusif et constructif. »

Mneya Abdi, féderale UPR, Tagant

« Il serait très prétentieux d’établir en quelques lignes les acquis de Son excellence Monsieur le président de la République Mohamed Cheikh El Ghazwani depuis son investiture le 1er Août 2019. Je me contenterai de quelques chantiers seulement. Le premier, on ne le répétera jamais assez et toute la classe politique est unanime là-dessus, c’est l'apaisement de l'arène politique nationale. L'opposition fut la première à le souligner.

Ghazwani est un dirigeant qui rassure, aussi bien au plan national, sous-régional, continental et international. Et j’ose espérer que les concertations annoncées par le président de la République viendront conforter cette dynamique et le climat de confiance qui sévit chez nous depuis Août 2019.

Sur le plan de la gouvernance, on a noté une volonté politique claire de lutter contre la gabegie et d’améliorer les performances de notre administration au profit des citoyens. Aussi et pour la première fois en Mauritanie, notre Assemblée nationale a pleinement joué sa mission de contrôle de l’action gouvernementale : la fondation de la Commission d'enquête parlementaire (CEP) en Février 2020 en est une parfaite illustration.

Elle a mené un travail de titan en toute indépendance, le gouvernement s'est abstenu d'interférer durant tout le processus des enquêtes de la police et de la justice. C’est quelque chose de nouveau et de remarquable qu’il faut saluer dans notre pays.

Le deuxième point que je voudrais ensuite évoquer brièvement est l'aspect économique et social. Je tiens tout d’abord à rappeler que le président de la République a pris ses fonctions dans un contexte particulièrement délicat. En effet, trois mois après son installation au Palais, la pandémie COVID s’est abattue sur le Monde entier, perturbant du coup tous plans et agendas des gouvernants.

Mais, en dépit de nos maigres moyens, le gouvernement a su éviter l'effondrement de notre système de santé et de notre économie grâce des mesures audacieuses. Lors d'une récente émission sur la TVM, le ministre du Développement économique et des secteurs productifs, a affirmé, chiffres à l'appui, que notre économie a tenu bon. Un autre effort à saluer.

Malgré cette contrainte majeure, le gouvernement a donc mis en chantiers d'importants projets : l'assurance-maladie pour des milliers de familles démunies :l'accès à la santé est une des préoccupation majeures des populations ; le programme national pour la promotion de l'élevage, un secteur clef de notre économie; la réforme du secteur agricole, pour aller à l'autosuffisance alimentaire et tirer le maximum de profits de nos terres; l'opportunité d’emploi pour des milliers de jeunes mauritaniens afin de résorber le chômage ; la prise en charge des malades en dialyse ; le chantier de l'école républicaine, pour renforcer l'unité nationale et la cohésion sociale...En somme, les président a tenu une grande partie de ses engagements Taahoudati, dans un contexte particulièrement difficile.

Mais pour être complète, je ne saurais oublier un aspect qui me semble important et nouveau. On ne peut parler du président de la République sans mentionner le rôle de la première dame, docteure Mariem Fadel Dah, à qui nous adressons toute la reconnaissance des Mauritaniens – surtout des Mauritaniennes – pour le travail qu'elle abat aux côtés du président de la République.

Mint Fadel Dah est venue révolutionner le rôle des premières dames de chez nous. Elle s'est imposée grâce à son charisme, son esprit d’ouverture, sa discrétion et, surtout, son souci de contribuer à l'épanouissement des femmes, aider et soulager les malades qui souffrent de pathologies lourdes.

On l'a vue monter au front pour superviser le lancement de chantiers à Kaédi et plusieurs fois à Nouakchott. Médecin de formation, elle ne pouvait rester insensible aux souffrances de ses compatriotes.

Ce travail humanitaire l’a placée sous les projecteurs depuis son entrée au Palais. Son rôle est éminemment déterminant auprès de son époux de président. Je pense que si la Mauritanie a eu la chance d'avoir Mohamed Cheikh Ghazwani comme président de la République, celui-ci a eu aussi, comme les Mauritaniens, de la veine d'avoir derrière lui une grande dame.

Au regard de tous les chantiers dont plusieurs sont déjà mis en œuvre, je pense que le bilan de ces deux années est suffisamment satisfaisant. Je reconnais qu'il reste beaucoup de choses à réaliser, les défis sont nombreux, mais le bilan peut bien nous inciter à l’optimisme. »

Mamoudou Mamadou Niang, député UPR de M’Bagne

Permettez-moi de profiter de cette occasion pour commencer par adresser mes vives félicitations au président de la République, Mohamed Cheikh Ghazwani et, à travers lui, au peuple mauritanien, en ce 1er Août, second anniversaire de son investiture. Nous avons vécu deux années difficiles mais également laborieuses, en termes d’avancées politiques et de réalisations.

Ceci dit, laissez-moi vous dire que nous ne nous sommes pas trompés en votant pour le candidat Mohamed Cheikh Ghazwani, élu par la majorité des Mauritaniens, le 22 juin 2019.Dans son discours du 2 Février au Stade Cheikha Boïdiya, au cours duquel il officialisa sa candidature, le futur président avait vite rassuré les Mauritaniens, pouvoir et opposition. L’espoir renaissait.

Et c’est ce climat qui a prévalu durant les deux années passées. Aussitôt installé au Palais, Mohamed Cheikh Ghazwani s’est empressé de décrisper la tension politique qui prévalait depuis des années entre la majorité et l’opposition. Rassurés, les acteurs politiques de celle-ci ont salué son esprit d'ouverture, ses capacités d'écoute, son tempérament pondéré. Ce fut un pas extrêmement important que tout le monde a apprécié.

Le Président pouvait maintenant démarrer ses chantiers (TAAHOUDATI). En tant que député, laissez-moi vous dire que c’est la première fois que la majorité et le pouvoir parviennent toujours à un consensus et que le législatif peut faire son travail sans influence de l'Exécutif. La CEP fut ainsi mise sur pieds et a travaillé en toute indépendance.

Au plan économique, notre pays a su juguler les aléas de la pandémie COVID (plans de riposte et de sortie de crise) qui n'a pas déstabilisé notre système de santé. Et malgré la rareté des ressources, le gouvernement a octroyé de substantielles aides pour soulager des milliers de familles impactées par les mesures de restrictions liées à la crise sanitaire.

Je souligne enfin les nombreux chantiers structurants lancés par le gouvernement, tant dans les secteurs des mines, de l'agriculture et de l'élevage qui s’apprêtent à vivre une révolution, que de ceux de l'éducation qui verra sous peu l’établissement d’une école Républicaine et de la santé qui a beaucoup appris et acquis avec la pandémie. Équipé de nombreux et importants équipements, ce dernier secteur peut désormais faire face à toutes sortes de pandémie.

Je ne saurais terminer sans évoquer quatre autres faits cruciaux : notre pays est à l'abri des attaques djihadistes et donc de l'insécurité qui y prévaut ; des milliers d'opportunités d’emplois sont offertes aux jeunes mauritaniens ; l’assurance-maladie protège des milliers de familles démunies ; et, surtout, la confiance et le soutien de nos partenaires au développement est de retour. Cerise sur le gâteau, je dois signaler le tout récent rapport de la Banque mondiale qui salue la résilience de notre économie. »

Samory Bèye, président d’El Hor et SG CLTM

« Nos espoirs étaient maigres mais nous avons cru que l’élection du président Ghazwani allait apporter des changements et améliorer la situation politique et, surtout, les conditions de vie des populations. Mais deux ans ont passé et nous déchantons.

La décrispation politique dont on nous rabâche les oreilles n’aura été, pour nous et la majorité des Mauritaniens, qu’un leurre. La gouvernance de l’actuel Président n’est presque en rien différente de celle de son prédécesseur. Avec Ghazwani, nous avons vécu deux années de tergiversations, d’exclusions, de gestion unilatérale et de tâtonnements... Les conditions de vie des populations sont allées de mal en pis.

On n’a jamais connu des hausses de prix des produits de première nécessité aussi vertigineuses que sous le régime actuel. Le chômage n’a pas reculé. Les milliards qu’on chante sur les media officiels ne sont que miroirs aux alouettes.

Taazour ne profite pas aux populations-cibles mais à certaines catégories de gens, la gabegie a encore de beaux jours devant elle, le « dossier de la décennie » restera l’arbre qui cache la forêt…

Deux années de discrimination raciale à outrance – Ghazwani n’a pas fait mieux que son prédécesseur en ce domaine – d’expropriation de terres et domaines des Noirs et, enfin, de confiscation des libertés individuelles et collectives.

En conclusion, je dirai que les deux premières années de Ghazwani augurent de cinq ans perdus. Les Mauritaniens en ont encore trois de souffrances, si les choses continuent à ce rythme. Les années qui restent du présent mandat présidentiel risquent fort d’être un véritable calvaire. »

Madame Kadiata Malick Diallo, députée UFP à l'Assemblée nationale

« Pour apprécier les deux premières années de pouvoir de Mohamed Cheikh El Ghazwani, il est important de partir d’abord de ce qu’on attendait de lui, à savoir les promesses électorales sur la base desquelles il s’est fait élire en 2019. Personnellement, je considère qu’il était le numéro deux du régime passé.

Le pouvoir qu’il a hérité ne peut être que la continuation du même système. Dans le meilleur des cas, il peut changer de style, comme il l’a montré à l’entame de sa campagne électorale. Une bonne partie de l’opinion s’est alors nourrie d’illusions de changements, encouragée en cela par une certaine opposition, qui, bien qu’ayant rejeté les résultats de l’élection, a appelé au dialogue, avant de s’installer durablement dans une attitude attentiste qui frise la démission.

Au bout de ces deux ans de pouvoir, je crois que c’est la désillusion qui s’installe chez les citoyens, contrairement au discours vendu par les partisans du pouvoir, tous mobilisés, à travers les media publics particulièrement (ministres, conseillers, maires, chefs de parti, y compris certains qui s’étaient montrés fidèles à l’ex-Président au moment du débat sur la référence de l’UPR), pour présenter un bilan flatteur à l’action du président Ghazwani. Nous y sommes habitués depuis le temps du PRDS.

Mais on peut se demander : qu’est-ce qui a fondamentalement changé ? Peut-on nier la dégradation du pouvoir d’achat des citoyens avec la flambée des prix, la stagnation des salaires, la souffrance du secteur informel, aggravées – et non expliquées – par la pandémie COVID, face à laquelle les mesures prises n’ont d’ailleurs pas été à la hauteur des attentes, malgré les contributions volontaires, au niveau national et des aides financières internationales consistantes ?

Avons-nous assisté à une nouvelle politique de l’emploi pour enrayer le chômage des jeunes ? A-t-on assisté au recul de la pauvreté ? Les services sociaux de base tels que l’enseignement ou la santé ont-ils connu des améliorations significatives ? Les hommes et leurs pratiques de gestion du pouvoir ont-ils changé ?

Le Premier ministre est le premier à déplorer les carences de l’administration. Peut-on nous justifier que le clientélisme politique n’est plus de rigueur ou que les hauts gradés de l’armée et autres chefs tribaux ne sont plus influents dans les prises de décisions ? La lutte contre la gabegie a-t-elle pris en compte l’ensemble des dossiers indiqués dans le rapport de la Commission d’enquête parlementaire et toutes les personnes impliquées ? Pourquoi s’est-on abstenu de rendre public le rapport de la Cour des comptes pour l’année 2019 ?

A-t-on fait le constat et admis que des politiques destructrices de l’unité nationale ont été suivies toutes les décennies passées ? Quelles mesures ont été prises pour mettre fin aux discriminations qui affectent certaines couches ou communautés, et rétablir la confiance entre les composantes nationales ? Au niveau de la démocratie et des libertés, pourquoi le ministère de l’Intérieur refuse-t-il de statuer sur les demandes de reconnaissance de partis politiques ?

Pourquoi le décret d’application de la loi sur les organisations ainsi que les arrêtés ministériels nécessaires pour sa mise en œuvre n’ont pas été pris ? La répression des manifestations pacifiques et des journalistes a-t-elle été abandonnée ? La tentative récente du pouvoir de faire adopter par l’Assemblée nationale une loi sur la protection des symboles ne montre-t-elle pas plutôt qu’on cherche à rétrécir davantage les libertés fondamentales garanties par la Constitution ?

À la main tendue de l’opposition pour un dialogue sincère, le pouvoir a invariablement répondu qu’il n’y a pas de crise et donc pas besoin de dialogue. L’ouverture dont on parle n’a pas dépassé les audiences accordées à des leaders politiques et qui n’ont servi qu’à anesthésier l’opposition. Je m’étonne d’ailleurs qu’autrefois très exigeants sur les préalables au dialogue avec le pouvoir, certains se croient obligés de renoncer jusqu’au concept même de dialogue et acceptent de lui substituer celui de la concertation.

À moins d’être dupe ou de chercher à tromper l’opinion, l’opposition peut-elle s’attendre à des concessions substantielles de la part d’un pouvoir sur lequel elle est incapable d’exercer la moindre pression ? Elle gagnerait plutôt à se ressaisir en jouant le rôle qui est le sien : soit contraindre le pouvoir à négocier avec elle, avec des chances d’arracher des compromis ; soit se positionner en alternative à celui-ci et gagner ainsi en crédibilité.

Propos recueillis par Dalay Lam

 

Le Calame